Des occasions de se réjouir

Soyons réalistes, tout ne va pas si mal. C’est sûr, de prime abord, la situation qui prévaut depuis un an n’a rien d’une promenade de santé, et…

– Tu trouves malin, Tonton Albert, d’employer une telle formule ?!…

– Euh, Kevin, mon neveu, tu gardes tes remarques pour toi, ou je t’envoie en stage « sciences-peau pratique » chez Olivier Duhamel ! Non, mais !..

Je disais donc… Malgré les apparences, si l’on y regarde de plus près, les motifs visant à relativiser l’ampleur du « côté obscur de la farce » que nous subissons, ne manquent point.

Déjà, on n’a jamais autant parlé de santé. Convenons-en, la santé était jusqu’alors une thématique uniquement perçue à l’aune des coûts qu’elle induit. Clairement. La santé, pour un état se voulant réceptif à l’ultra-libéralisme, est une charge. Point final. Un peu comme le travail, d’ailleurs. Le fameux « coût du travail » qui donne des boutons et fait cauchemarder ces messieurs du MEDEF depuis que l’esclavage – c’était tout de même mieux avant ! – a été aboli. Voici donc un domaine suscitant bien peu d’intérêt – la santé – qui se retrouve propulsé sur le devant de la scène médiatique. Et sans risquer d’être détrôné par quoi que ce soit ! Il y a des ritournelles du top 50 qui se contenteraient de moins. Et pas question, cette fois, de l’aborder en déplorant que soigner la population coûte un bras au gouvernement. Il fallait naguère économiser jusqu’au moindre sparadrap, et voilà que l’on ne regarde plus à la dépense.

Non, désormais, le carnet de chèques semble en permanence à disposition sur un coin de table. C’est un peu open bar pour l’hôpital. Et vas-y que j’ouvre des centaines de lits en réanimation, et vas-y que je suis prêt à former du personnel soignant en deux coups de cuiller à pot, et vas-y que je pourrais – si vous m’y obligez ! – me mettre à payer ces mêmes personnels à peu près décemment. Oui, je sais, il n’y a pas si longtemps, les soignant(e)s qui manifestaient pour réclamer de vrais moyens pour l’hôpital, étaient gazé(e)s par les CRS, et l’on supprimait des lits à l’hôpital comme on brade des vieilleries dont on ne veut plus. Autres temps, n’est-ce pas…

Aparté : Si le Macronistan qui a annexé le pays depuis 2017, n’est pas responsable de cette suppression massive de lits à l’hôpital, il n’a pas non plus – et loin de là – inversé la tendance. Mieux, la « grande kermesse du plumard hospitalier » est plus que jamais en vogue sous Emmanuel 1er (l’ex-directeur de l’Agence Régionale de Santé du Grand Est l’avait rappelé avec une certaine candeur, lors de la première vague du Covid). Bref, comme une enquête de Bastamag le mettait en exergue, la braderie n’a apparemment pas cessé malgré l’épidémie… Fin de l’aparté.

D’aucun(e)s ont parlé d’argent magique ; ce n’est pas faux. Le problème avec l’argent magique, c’est qu’il s’apparente au carrosse de Cendrillon. Au bout d’un moment, il redevient citrouille. Et je n’ose pas imaginer l’addition qui nous sera présentée lorsque sonneront les douze coups de minuit de la crise sanitaire. On peut faire confiance aux joyeux philanthropes qui dirigent le pays, pour nous délivrer au moment opportun, le discours qu’ils auront concocté entre deux « quoi qu’il en coûte ! » distillés durant l’épidémie pour rassurer le chaland. Quelque chose comme :

 

  • Mes chers compatriotes (ou « Mes pauvres lapins », c’est selon)  personne – et le pays encore moins – ne peut vivre au-dessus de ses moyens. Les milliards empruntés sur les marchés financiers n’étaient pas gratuits1, vous savez. Aussi, et croyez bien que je le déplore, la crise sanitaire aura eu raison de la Sécurité Sociale. Dorénavant, il faudra vous passer de ce merveilleux legs de nos aînés, un avantage que nous ne pouvons plus nous permettre de conserver. Mais j’ai confiance en votre capacité de résilience, et je sais que vous serez fiers de ne pouvoir compter que sur vous-même. Le plus souvent, pour rebondir, il suffit de traverser la rue…où vous attendent les assureurs privés.

pourrait bien nous être servi, à l’heure où les bonnes fées sont couchées et laissent Cendrillon se dépatouiller toute seule, vêtue de ses haillons, au bord d’un chemin truffé d’ornières, par une nuit sans lune, avec un portable qui ne capte aucun signal.

Pour l’heure, vous aurez sûrement observé qu’à la faveur de l’épidémie de Covid19, il n’y a plus aujourd’hui, en France et dans le monde, qu’une unique cause de mortalité. On ne meurt plus de cancers, de pathologies cardiaques, ou même d’accidents de la route, mais du coronavirus. Si ce n’est pas une bonne nouvelle, ça, je ne sais pas ce qu’il vous faut ! S’apercevoir que toutes les possibilités d’avaler son bulletin de naissance – sauf une ! – ont disparu devrait nous mettre en liesse, non ? Bon, je vous accorde que le « monopole du moment » octroyé au Covid pourrait bien amener les autres maladies à mettre les bouchées doubles quand l’épidémie aura cessé. Il y aura du retard à combler. Ce ne sont pas les patients qui ont vu leur intervention chirurgicale reportée – parfois aux calendes grecques – qui soutiendront le contraire.

L’autre bonne nouvelle dans ce marasme épidémique, c’est que nous avons toutes et tous remarqué que nous restions des êtres profondément sociaux. En dépit de tout le discours autour de la compétition, du chacun pour soi, de l’aura légendaire de Margareth Thatcher et de l’individualisme à tout crin, dont on nous a abreuvé(e)s ces dernières décennies. Claquemurés à domicile, les autres (oui, même les voisins qui tirent systématiquement la gueule quand on les croise !) nous ont manqué. Sincèrement. Incroyable, non ? C’est à croire que nos contemporain(e)s nous sont indispensables et que nous aspirons à « faire société » avec eux/elles. Pour le moins étonnant, non ? Passé le (très bref) moment de relative euphorie – façon « ah, on va pouvoir enfin être tranquille(s) un moment ! – le sentiment de solitude est devenu pesant, envahissant, voire complètement anxiogène. Et il persiste, ce sentiment ! Comme quoi, supporter l’insupportable n’est point chose aisée.

Et ces étudiant(e)s qui jusqu’alors, pratiquaient la fuite en avant en poursuivant des études, parfois un rien absconses, afin de différer – façon la « Pénélope d’Ulysse » – leur périlleuse entrée dans le monde du travail. Eh bien, tellement écœuré(e)s par les conditions qui leur sont réservées aujourd’hui, voilà qu’ils/elles sont prêt(e)s à renoncer au long terme et à un emploi correctement rémunéré – mais hypothétique – pour le très court terme et le moindre petit boulot payé au lance-pierres ! Rien de tel que des factures à régler sans délai, pour vous faire intégrer les réalités de la vie. Des réalités qui s’invitent auprès de la jeunesse pour le plus grand bonheur de ces messieurs du MEDEF dont je parlais plus haut. Que les jeunes ne soient plus les jouets de leurs illusions, n’est-ce pas là une authentique raison de se réjouir ?

Et puisque j’évoque la jeunesse, vous avez remarqué que depuis le démarrage de l’épidémie, nous avons toutes et tous rajeuni ? Non ?… Pourtant, si ce n’est pas le cas, comment expliquer que nos sommités gouvernementales s’adressent à nous comme si nous étions des enfants et non pas des adultes responsables ? C’est bien le signe que nous ne faisons pas l’âge que nous pensons avoir. Merci donc au Covid pour cette inattendue cure de jouvence.

En tout cas, cette crise sanitaire s’est montrée fertile en découvertes sur nous-mêmes. Dans la droite ligne de ce que j’ai écrit précédemment au sujet des voisins – concept qui généralement fait l’unanimité contre lui -, nous pensions que la convivialité était source de bonheur partagé, voire était en mesure de cimenter la société. Pure hérésie qu’une telle vision du monde. Avouons-le très humblement, nous étions au mieux dans l’hypothèse fumeuse, au pire nous pataugions jusqu’à la ceinture, dans l’impasse la plus totale.

Qu’est-ce qu’elle apporte, au final, cette convivialité entre les gens ? Les rapprochements, les contacts, les bavardages en face en face, les embrassades, les serrages de pognes, les « tu prends un gorgeon au troquet ? », les petites bouffes entre ami(e)s, les soirées au théâtre, au concert ou au cinéma… Hein ?… Des MALADIES, ma bonne dame ! Que des ennuis ! Que du danger. La convivialité, c’est la plaie des sociétés modernes. Heureusement que des esprits supérieurs nous ont ramené(e)s sur le droit chemin. Le seul qui vaille : l’autoroute de l’individualisme et de la méfiance généralisée, seuls à même de nous épargner le trajet jusqu’aux urgences.

Et puis, vous ne trouvez pas que le vocabulaire s’est considérablement simplifié, depuis que nous sommes en guerre ? Pour communiquer, c’est tellement plus simple. Comme dirait l’autre, on s’est recentré sur l’essentiel – terme incontournable s’il en fût. Le langage usuel ne s’est pas encore aligné sur les cinquante mots des footballeurs interviewés après un match, mais c’est en bonne voie. Il n’est plus question que de « confinement » (au pluriel si possible), de « pandémie », de « gestes barrière », de « cas contact », de « masques », de « papier toilette » (ces deux mots étant parfois associés à celui de « pénurie »). Seule exception conservant une once de complexité, et sans doute parce que nous sommes en hiver, le gel s’est étoffé. Le voici hydroalcoolique désormais. Encore un effet du dérèglement climatique ?

Tout est au même prix aussi. A 135 €, prix d’ami ! A la manière de ces foires à dix balles d’autrefois. Vous mettez le nez dehors au-delà de 18h00 : 135 €. Vous avez oublié votre muselière dans le fond de votre poche : 135 €. Vous vous retrouvez à plus d’un kilomètre de chez vous sans raison valable : 135 €. On attend avec impatience les futures coupures de 135 € pour faciliter les transactions monétaires avec les pandores qui veillent sur nous.

Enfin – et j’ai peut-être gardé le meilleur pour la fin -, la notion de paradoxe se porte bien. Assurément. Voyez, il y a au moins un domaine sur lequel la maladie demeure inopérante. Grâce à la crise sanitaire, le paradoxe donc, reste en pleine forme. Je citerai un seul exemple pour le démontrer, mais de manière éclatante : Nous avons toujours en France un(e) ministre de la Culture, alors que la Culture dans son intégralité a été réduite au silence par le même gouvernement auquel ce(tte) ministre collabore. Quel beau message que celui-ci : conserver un poste de ministre chargé(e) d’une activité qui a été réduite à néant. Faut-il y voir la volonté d’incarnation d’un souvenir (façon : autrefois, il y avait des expressions multiformes d’arts qui rassemblaient les humains en les divertissant tout en les faisant réfléchir). Oui, c’est cela, le Gouvernement mise, à travers le maintien d’un ministère qui n’a plus de raison d’être, sur un « effet musée ». Euh, si je puis me permettre… les musées, ce ne sont pas des lieux culturels qui sont eux aussi bouclés à triple tour jusqu’à la fin des temps ?…

 

 Note 1 : « Pas gratuits, pas gratuits », c’est vite dit. Car aux taux dérisoires auxquels ces gros sous sont empruntés (parfois, ce taux est négatif ! Source : Ministère de l’Économie & des Finances), le spectre de la banqueroute se fait tout de même moins prégnant.

 

Sachez qu’une version audio de cette humeur est écoutable par ici, via le « pot de caste » de Radio G ! 

(cela démarre à partir de 6′.10″).

 

4 commentaires sur « Des occasions de se réjouir »

  1. Ha Albert ! Ce qu’il manque ce petit café partagé avant le boulot à la brasserie du coin ! Un p’tit crème…
    Allez, une autre !

  2. Tout est dit et on ne peut que partager cette analyse juste.
    La parodie du petit bar malade me fait penser à la chanson de grand corps malade, Pas essentiels…
    A la notre quoiqu’il en coûte….

  3. Merci Cachou de cette invitation. J’irai garnir les rayons de L’Espricerie.
    Par exemple avec des propos « Covid-de sens ».
    Autrement dit, un discours gouvernemental maniant subtilement incohérences à répétition, mesures liberticides et efficacité douteuse.

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