Passez-moi d’expressions !

Une petite dose de superflu, ça vous dit ? Je vous propose de vous arrêter un instant sur ce fatras d’expressions ou de termes d’une insondable vacuité dont on nous abreuve au quotidien… et qui commence à me hérisser le poil.

D’abord, d’où viennent-ils ces mots ou tronçons de phrases « passe-partout », qui désormais nous tombent dessus au détour de la moindre conversation ?

Eh bien, visiblement, les médias en sont friands ; et c’est avec un appétit gourmand que celles et ceux qui sont censé(e)s aider le péquin moyen et la ménagère de moins de 50 ans à se faire une opinion, nous en servent jusqu’à plus faim. Jusqu’à plus soif.

C’est ainsi que j’ai régulièrement noté que tel événement était – je cite – « sans précédent ». Oui, un événement semblable s’était produit une semaine auparavant, mais entre-temps, il était (re)devenu sans précédent ! Est-ce à croire que les bigorneaux mettent leur mémoire à la disposition des journalistes, ou que des formes de plus en plus précoces de la maladie d’Alzheimer se déclenchent chez cette corporation ?… Allez donc savoir…

Autre terme particulièrement « tendance » : la « résilience » ! S’il y a un mot qui revient à tout bout de champ dans les discours vides de sens de la sphère politico-médiatique, c’est bien la résilience. Déjà, que signifie-t-il ce véritable doudou pour quinquagénaires cravatés ou arrogantes vêtues d’un tailleur chic ? Rien de plus que la capacité à rebondir, à s’extraire d’une situation délicate. Bref, à s’adapter. Dans le jargon des chaînes d’infos en continu, cela revient à dire : « apprêtez-vous à ne pas rigoler tous les jours, mais en croisant les doigts, ça ne se passera peut-être pas trop mal ». Entre nous, pas de quoi grimper aux rideaux, et quel intérêt y a-t-il à nous réchauffer le plat tous les quatre matins ?

Paradoxalement, c’est dans ce concert d’inepties que l’on entend souvent qu’il faut « faire sens ». Oui, le graal de nos temps modernes est là. A portée de main. « Faire sens ». Comment n’y ai-je pas songé plus tôt ? Faire sens sur la base d’un discours de plus en plus creux. C’est une façon de gérer la pénurie de contenu. Un peu à l’image de « L’Avare » de Molière qui voulait « faire bonne chère avec peu d’argent ». Quel beau défi que celui-là !

Au moins aussi prolixe en tics de langage, l’on trouve le monde du commerce. Et actuellement, son plus beau fleuron est sans conteste le « Pas de souci ». Ah, le « pas de souci ! ». Quelle que soit la demande que l’on formule dans une boutique, invariablement, l’on vous répond : « Pas de souci ». Avec l’ersatz de sourire façonné en école de commerce qui va avec. Que l’on souhaite acheter la maison de ses rêves, un vélo électrique ou deux tranches de jambon, l’on y a droit. Et d’ailleurs, j’espère bien qu’il n’y a pas de souci à me vendre deux tranches de jambon !… J’ai perçu parfois la variante : « pas de sushi », qui ne concerne pas, semble-t-il, que des défauts d’approvisionnement susceptibles d’affecter un restaurateur japonais…

Loin de moi la volonté de vous fournir « à l’arrache », une liste exhaustive de toutes ces expressions mal ficelées qui n’ont pour but que de meubler à pas cher, nos échanges de paroles, qui sinon, s’apparenteraient à des dépêches de l’AFP. Les phrases ponctuées, émaillées de « grave », de « trop bien », voire de « trop grave » ont leur utilité. Celle de cacher la misère abyssale de la plupart de nos échanges.

Ainsi, s’il vous prend de dire à votre conjoint :

– Bon, je sors promener le chien. »

C’est affreusement basique, et ça risque de ne pas appeler de commentaire. Tandis que si vous indiquez :

– Je sors « en mode » « promener le chien ».

Ça a tout de suite plus d’allure. Il est même probable que ledit conjoint amorcera un semblant de dialogue :

– Ah, grave, trop bien de sortir en mode promener le chien alors qu’on va passer à table ! » 

Évidemment, dans cet exemple, ça risque de partir vite fait en quenouille. Mais soyons réalistes, une engueulade, c’est déjà du dialogue !…

C’est sûr, le phénomène des expressions creuses « de chez creuses » n’est pas nouveau. Voici de cela quelques décennies, c’était la locution « tout à fait » qui avait le vent en poupe. Tout à fait par ci, tout à fait par là. A la longue, tout à fait indigeste.

Il y a eu également le « en fait » qui perdure encore aujourd’hui (et non pas, par pitié, « aux jours d’aujourd’hui » !) et qui a une autre fonction. A coups de « en fait » (non, pas à coups « d’amphète » !), on peut laisser la pensée s’échafauder… quitte à voir s’évaporer… l’attention de son auditoire. Il m’est d’ailleurs arrivé de m’amuser à les compter ces « en fait », dans l’exposé qui m’était fait. Autant dire que je n’ai pas retenu grand-chose de ce qui m’était raconté.

Vous l’aurez compris, il est pratiquement impossible d’échapper au vide sidéral de ces expressions du « prêt à emporter, prêt à restituer ». Par contre, rien de vous interdit de créer vous-mêmes vos propres tics de langage, sans vous fournir chez « Face de bouc » ou chez Lobotomie-Télé. Oui, je fais sans réserve l’apologie du « Do it yourself ». Alors, des mots qui ne veulent rien dire, certes, mais « faits maison ». En plus, avec cette proximité retrouvée entre vous et vous-même, vous réduirez votre fameux bilan carbone, cette autre rengaine dont on nous rebat les oreilles.

Merci à l’amie Véro qui m’a suggéré une liste abondante d’expressions « à la mode », et dans laquelle j’ai pioché pour écrire ce billet d’humeur.

Ce texte est disponible en version audio sur le « pot de caste » de Radio G ! en allant voir (ou plutôt en allant « tendre l’oreille ») par ici (cela démarre à 3’12 »). Cette année, ce sera lors de l’émission « Topette ! » qu’anime le dynamique autant que sympathique Pierre-Benoît.

                                                                                             

                                                                          

1 commentaire sur « Passez-moi d’expressions ! »

  1. C’est lourd (traduction : c’est excellent) !!!
    Mea culpa pour le « pas de soucis » qu’il m’est arrivé de prononcer dans le commerce pour faire court !!!
    Tu as compté l’expression « en fait » ce qui m’a rappelé un cours de français ponctué de « hum » par la prof. Je n’ai aucun souvenir de ses explications, mais je me rappelle avoir fait un trait à chaque fois qu’elle prononçait cette interjection. Le cours terminé je me suis aperçue que ma feuille était entièrement raturée !!!
    Et voici « gros » (traduction : cher camarade, Albert, avec lequel j’ai passé un bon moment)

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