Quel dommage que ton émission, mon bon Michel, n’ait pas eu lieu la semaine dernière ; l’à-coup fan du jour aurait ainsi davantage collé à l’actualité. Mais qu’importe cette indéfectible cadence des semaines impaires et le retard à l’allumage qui peut en découler, j’opte délibérément pour le mode réchauffé pour ce nouvel à-coup fan. Et puis, entre nous, je ne vois pas pourquoi le monopole du retard devrait être réservé à la SNCF…
Donc, j’ai choisi de revenir, aujourd’hui, sur le vote historique de nos parlementaires des deux chambres ce 4 mars, garantissant la liberté de pouvoir recourir à l’avortement, en inscrivant ce droit dans la Constitution. La France est le premier état au monde à le faire, alors que dans plusieurs pays – de la Pologne aux Etats-Unis – c’est plutôt machine arrière toute en ce qui concerne ce droit conquis de haute lutte.
Cocorico, par conséquent ! Accessoirement, cette belle avancée constitutionnelle permet à notre brave président d’afficher aux yeux du monde, un vernis progressiste, et de faire oublier – au moins pour un temps – son idolâtrie pour l’article 49-3 et autres tendances qui ne visent pas franchement à l’épanouissement des libertés publiques, passons…
Ce vote solennel et massif de nos représentant(e)s – 780 voix en faveur de l’inscription de l’IVG dans la Constitution pour seulement 72 oppositions à cette proposition de loi – c’est l’opportunité de revenir sur le chemin parcouru depuis la Loi Veil de 1974. Un demi-siècle plus tôt, les opposants à l’IVG représentaient tout de même 38 % des députés et sénateurs… contre à peine 8 % aujourd’hui ! La société a évolué et avec elle les mentalités. On ne peut que s’en réjouir, même s’il n’est pas rare, encore aujourd’hui, d’observer que les femmes se heurtent à de réelles difficultés pour recourir à l’IVG. Soit parce que l’accès aux soins connaît des disparités importantes sur le territoire national – pour mémoire, depuis 15 ans, 130 centres d’IVG ont fermé leurs portes -, soit en raison de la clause de conscience que peuvent toujours brandir les praticiens opposés à l’avortement.
Alors, il y a une grande dame de la chanson qui elle, était progressiste sans aucun doute, et qui au moment où le débat sur la dépénalisation de l’avortement faisait rage, écrivait une chanson qui avait le mérite de mettre les points sur les « i ». Cette grande dame, c’était Anne Sylvestre ; et avec « Non, tu n’as pas de nom ! », elle précisait qu’il ne fallait pas confondre « enfant » et « embryon », et que la maternité ne pouvait être imposée aux femmes, mais devait rester leur choix. Une grossesse ne pouvait être subie, si l’on voulait lui conserver cette sacro-sainte dénomination « d’heureux événement ».
Non non tu n’as pas de nom
Oh non tu n’es pas un être
Tu le deviendrais peut-être
Si je te donnais asile
Si c’était moins difficile
A supposer que tu vives
Tu n’es rien sans ta captive
Oh ce n’est pas une fête
C’est plutôt une défaite
Mais c’est la mienne et j’estime
Qu’il y a bien deux victimes
Non, décider d’avorter n’est pas anodin et l’acte lui-même n’est pas une partie de plaisir. Il est juste le moins mauvais choix, quand les circonstances ont fermé les portes de l’avenir.
Et Anne Sylvestre de réserver quelques traits aux garants de l’ordre moral, aux donneurs de leçons, aux dignes héritiers de ces arrogants messieurs qui pratiquaient le droit de cuissage sur leurs soubrettes et les mettaient à la porte, une fois qu’ils se retrouvaient enceintes de leurs œuvres. A leurs yeux, la femme n’est qu’une éternelle pécheresse et ne sera jamais leur égale.
Qui sont-ils ceux qui m’accusent
Que savent-ils de mon ventre
Quiconque se mettra entre
Mon existence et mon ventre
N’aura que mépris ou haine
Me mettra au rang des chiennes
Une chanson tout en contraste dans sa structure. A la mélodie du refrain qui paraît avoir été empruntée à une berceuse, succèdent des paroles âpres et sans concession émises par une voix vibrant d’émotion. Des paroles qui disent la douleur, la révolte contre l’adversité. L’espoir aussi qu’un jour cette femme pourra offrir le meilleur à l’autre vie qu’elle peut porter en elle.
Depuis si longtemps je t’aime
Mais je te veux sans problème
En somme, une chanson dans la droite ligne du Procès de Bobigny au cours duquel une femme mineure se retrouvait dans le box des accusé(e)s pour avoir avorté à la suite d’un viol. Oui, Michel, la police peut se montrer remarquablement inspirée lorsqu’elle arrête des gens… Une brillante avocate qui n’était autre que Gisèle Halimi avait pointé l’absurdité de la loi alors en vigueur et obtenu l’acquittement de sa jeune cliente. Dès lors, le chemin vers la légalisation de l’avortement se dégageait.
Il convient d’ajouter que les radios nationales françaises ne trouvèrent pas la chanson en odeur de sainteté, et de ce fait, ne la diffusèrent quasiment pas. Mais elle sera chantée par des milliers de voix, dans les manifs pour le droit à l’avortement.
Pour conclure, gardons en mémoire que le très progressiste Maréchal Pétain avait expédié sur l’échafaud, Marie-Louise Giraud, la seule « faiseuse d’anges » exécutée en France pour ce motif. Un fait divers que Claude Chabrol avait mis en images, en 1988, avec la complicité de son égérie, Isabelle Huppert.
Mais je cause, je cause, et l’on n’écoute pas de musique. Allez, la parole est à Mme Anne Sylvestre.
La version audible de cet à-coup fan devient évidemment disponible en vous rendant sur le « pot de caste » de Radio G ! N’hésitez pas bien sûr à écouter l’intégralité de « Qu’est-ce que vous me chantez là ? » concoctée par l’ami Michel Boutet.