La Bouteille aux trois-quarts vide que je te propose de (re)découvrir, lectrice, lecteur, est une cuvée quelque peu étrange. Elle mêle en effet des saveurs que l’on n’attendrait pas. Je la qualifierais de « toute en subtilité » cette cuvée, car simultanément, elle porte à sourire tout en appelant à s’interroger sur son degré… de lucidité. Je dis « redécouvrir », car cette fois encore, j’ai effectué une petite descente aux archives pour rapporter cette « bouteille » diffusée sur l’antenne de Radio G !, le 23 mai 2024. Comme le temps passe, n’est-ce pas ?…
Tu te dis bien sûr, lecteur, lectrice, que je pourrais me montrer un peu plus explicite, et tu auras raison d’exprimer cette demande. Certes, cette information n’est plus un scoop, mais comme je n’ai pas pu en parler plus tôt à ce micro, je vous l’ai conservée bien au chaud. C’était en avril.
Lors de la visite qu’il effectuait dans une maison France Services, en région parisienne, le Premier ministre Gabriel Attal a présenté la nouvelle intelligence artificielle du service public, que le gouvernement n’a pas hésité à prénommer…, Albert ! Incroyable, non ?… Aussi, même si un tel choix force le respect, je me demande si le prénom choisi s’avère réellement adapté à l’objectif fixé.
Car quiconque m’aura entendu dire au micro de Radio G !, ou dans les dîners en ville, le plus grand mal de tout ce qui s’obstine à ne pas fonctionner dans le domaine du numérique, se dira que ça fleure bon l’incongruité. Ma défiance légendaire devant l’hydre informatique en rajoute d’ailleurs une bonne couche. Entre nous, « Kevin » aurait été plus opportun. Tant qu’à mettre en œuvre un machin qui à coup sûr, va dysfonctionner, autant lui associer une identité qui possède déjà un certain passif. Mon neveu Kevin que je ne vous présente plus, appréciera cette nouvelle délicatesse de son Tonton Albert. Pas vrai, Kevin ?
Donc, c’est un tout autre choix qui a été retenu.
Quant aux raisons d’un tel choix, je te rassure tout de suite, lectrice, lecteur, ma modeste renommée n’a pas encore atteint les centres de décision ministérielle. En outre, il aurait fallu que nos joyeux décideurs détiennent une aptitude à manier humour et autodérision, caractéristiques qui leur font manifestement défaut. Apparemment, ce n’est même pas en référence à Einstein – peut-être l’Albert le plus célèbre… – que le choix s’est opéré. Certes, tout est relatif, mais tout de même !… Il semblerait plutôt – si j’en crois ce que rapporte le site de France Culture sur le sujet – que nos têtes chercheuses gouvernementales soient allées glaner dans des théories pour le moins fumeuses, comme le sens caché des prénoms. D’ici qu’au prochain remaniement, l’on nous installe un secrétariat d’état à l’ésotérisme, il n’y a pas loin…
Mais quelles sont donc les qualités des Albert ?… A la demande générale, je relaie ce que j’ai pu rassembler comme bla-bla sur le sujet : Il paraît (je cite) qu’Albert a un sens du devoir important, et aime rendre service. Il est exigeant et n’aime ni l’imprévu, ni perdre son temps. Il fera tout pour organiser sa vie de manière à ce qu’il n’y ait jamais de caillou dans l’engrenage.
Tu avoueras, lecteur, lectrice, que transférer ce portrait à une machine qui, par définition, va planter à la moindre occasion, cela relève franchement de la méthode Coué. D’ailleurs, nos dirigeants ne font pas mystère de la foi qu’ils mettent dans cette intelligence artificielle made in France. Le côté cocorico de leur machin est ainsi abondamment mis en exergue. Mais comme personne ne l’ignore, de la foi à la crédulité, il n’y a parfois que l’épaisseur d’une plume d’ange.
D’après le premier ministre, Albert – pas moi, l’autre ! – c’est un peu Shiva, tant il est capable de tout faire avec ses nombreux petits bras invisibles. Aux impôts, il sera ainsi chargé d’analyser les 16 millions de demandes annuelles en ligne effectuées par les contribuables des usagers en y apportant des réponses adaptées en lieu et place des fonctionnaires. Il y a intérêt à rentrer dans la bonne case afin de ne pas voir votre dossier purement et simplement rejeté.
Albert pourra aussi officier du côté des directions régionales de l’environnement pour pré-instruire des dossiers, afin d’accélérer la transition écologique.
Il pourrait aussi être utilisé pour retranscrire les audiences judiciaires et les comptes-rendus médicaux. Il fait le café aussi ?
Toujours ce mythe tenace du « tout technologique »… Je regarde toujours avec circonspection cette fascination pour cette miraculeuse technologie que l’on nous sert à la moindre occasion. Celle qui va nous sortir de tous les bourbiers dans lesquels notre espèce humaine s’est fourrée. Et il est troublant (je cite toujours France Culture) d’observer que cet Albert caché dans un data center pourrait, selon le gouvernement, faire des miracles.
Quand j’étais môme, « faire des miracles » était l’expression que l’on brandissait quand la vaisselle était mal empilée et risquait de se fracasser sur le sol à tout moment…
Concrètement, ce qui va se passer, c’est qu’une nouvelle étape dans la déshumanisation des services publics va être franchie. Il relevait déjà de l’exploit d’obtenir un rendez-vous physique avec un agent de la plupart des administrations, je vous laisse imaginer sans peine l’évolution attendue avec cet Albert numérique. Baudelaire vantait les paradis artificiels, voilà que surgit l’enfer artificiel qui néanmoins sera bien réel pour nombre d’usagers. Il serait du reste judicieux de modifier l’orthographe du terme « usager du service public ». En effet, nous risquons toutes et tous de devenir très usagé(e)s lorsque nous serons aux prises avec cette trouvaille.
Il n’y a plus qu’à espérer que ce ne soit pas les concepteurs du site de la SNCF qui aient obtenu le marché. Il y a tout de même des limites au gaspillage des fonds publics…
La version pour vos oreilles est bien sûr disponible sur le pot de caste de Radio G !… Cela démarre à partir de 5’38.