Je souhaitais revenir sur ce qui restera cette année, comme un événement majeur pour notre bonne ville d’Angers ; à savoir, la visite du Président de la République, le 28 mars dernier. Oui, je sais, pas mal de temps s’est depuis écoulé ; ce n’est plus d’actualité. Et alors ?… Souvenez-vous, la ville était méconnaissable. La presse locale s’en était fait l’écho. Ainsi le Courrier de l’Ouest du lendemain nous dévoilait-il un Boulevard Foch vidé de toute activité humaine.
En pleine journée, plus un tramway, plus un bus, plus une bagnole, plus un quidam dans tout le centre-ville ! Il est probable que l’on y avait éradiqué jusqu’à la moindre crotte de chien. Ne restaient que les bâtiments. Un peu comme après le largage d’une bombe à neutrons. Cette temporaire mise au rebut des transports en commun était peut-être censée inciter l’Angevin à se servir de ses jambes. Sans doute pour lutter contre la tendance générale à l’obésité et au manque d’exercice de nos contemporains ? Il est vrai qu’avec un mouvement politique qui s’appelle La République en Marche, il faut s’attendre à consommer de la semelle de godasse.
En même temps, la marche, c’est surtout pour les autres ; car notre bon président, lui, n’a pas dû beaucoup user ses chaussures de la journée. Arrivé en hélicoptère depuis la capitale, il est monté à bord de sa modeste voiture blindée pour gagner la préfecture, bunkerisée pour l’occasion. Le Courrier de l’Ouest nous apprend – si j’ose dire « dans la foulée » – que ledit véhicule blindé était venu… dissimulé dans un camion depuis Paris. Comme s’il avait fallu traverser des lignes ennemies. Euh, ils vous font peur tant que cela, vos concitoyens, Monsieur le Président ?
Ça, c’était le programme de la matinée. L’après-midi était consacrée à une balade express (le 80 km/h a-t-il bien été respecté sur tout le trajet ?), jusque dans les Mauges*. Oui, c’est là qu’intervient VRAIMENT le véhicule blindé dont j’ai parlé plus haut, et que nos services secrets ont brillamment fait passer au nez et à la barbe des forces ennemies. Dans les Mauges donc, où une rencontre avec de charmantes têtes blondes scolarisées dans l’enseignement privé constituait le but du périple. Voici un symbole autant républicain que laïc, que nombre d’enseignants du Public apprécieront à sa juste mesure. Au moins, face à des enfants, la contradiction – toujours redoutée – n’était-elle pas trop à craindre. Et devant des gamins issus de l’enseignement catholique, le président ne risquait pas d’y perdre son latin. L’heure de la récréation approchant, notre bon président est reparti par la voie des airs (oui, il y a un petit côté Saint Esprit dans cette escapade présidentielle en Anjou) via son hélicoptère favori. Un appareil qui patientait sagement tel Jolly Jumper attendant Lucky Luke devant le saloon. Quant au véhicule blindé, probablement qu’il a dû attendre l’arrivée de son camion-écran protecteur pour repartir vers la capitale. Le Courrier de l’Ouest ne nous le dit pas.
Voilà en tout cas une opération dont le bilan carbone aura certainement fait plaisir à Nicolas Hulot.
Mais le déploiement policier méritait lui aussi le détour. A part les addict(e)s aux coups de matraques et les accros aux gaz lacrymogènes, on ne voit pas qui aurait pu se montrer suffisamment insensé pour s’approcher des cordons de CRS placés en rangs compacts 300 mètres autour de la préfecture. Plus de 1500 gendarmes et policiers, parfois venus en renfort depuis Nantes ou Tours, avaient été mobilisés et veillaient à ce que la tête de l’exécutif ne perde pas le moindre cheveu dans ce déplacement chez les provinciaux que nous sommes.
Je me demande quelle image nous renvoyons à notre bienaimé dirigeant suprême pour légitimer une telle défiance. Enfin, je crois que j’en ai une vague idée…
De toute façon, le citoyen lambda était prié d’aller jouer plus loin s’il comptait s’approcher de l’épicentre préfectoral. Circulez ! » devait être le mot d’ordre du jour.
Ben, précisément, circuler, comme on l’a vu, n’était point aisé, que ce soit à pied, à cheval ou en voiture. Et encore moins si l’on souhaitait soutenir les commerces de proximité en y effectuant ses achats. Résultat des courses – là encore, si j’ose dire ! – la recette du jour pour les boutiques du centre-ville a dû flirter avec le zéro absolu. Il est vrai que risquer un coup de matraque en allant chercher sa baguette de pain en a vraisemblablement dissuadé plus d’un. Un commerçant du centre-ville résumait d’ailleurs la situation avec un humour fataliste : Il aurait dû venir un samedi, déjà qu’on ne bosse plus ce jour-là, à cause des Gilets Jaunes…
En même temps, il faut reconnaître que là où les adeptes de la décroissance peinent à se faire entendre, notre bon président lui, réussit magistralement…puisqu’il est parvenu à imposer avec un incontestable succès, la fameuse « Journée sans achat ». Du coup, les emplettes qui étaient censées s’effectuer en centre-ville et à pied, se sont fatalement reportées vers les centres commerciaux de périphérie où l’on se rend nécessairement en bagnole. Bref, pas de doute, la transition écologique tant vantée, est elle aussi « en marche »…mais en marche arrière.
Juste pour conclure, faut-il rappeler quel est l’homme politique français qui s’insurgeait devant le coût éhonté que représentent les prestations sociales ? Prestations permettant néanmoins à des millions de nos concitoyens de garder, tant bien que mal, la tête hors de l’eau ? Cela représente, si l’on en croit cet homme politique, « un pognon de dingue ! ».
Assurément, tout ce draconien dispositif déployé ce 28 mars pour garantir la sécurité d’une unique personne, c’est certainement gratuit !
* Pour celles et ceux qui l’ignoreraient, les Mauges, c’est la portion sud-ouest du Maine-et-Loire.
Etienne Davodeau, l’auteur de BD, a publié un remarquable opus consacré à cette région si particulière de l’ouest de la France, « Les Mauvaises Gens ». A lire absolument.
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