A-coup fan – 23 mai 2024

Eh bien, mon bon Michel, cela faisait un moment d’une part, que je n’étais pas venu à ce micro, et que, d’autre part, je n’avais pas pioché dans la discographie de Georges Brassens,!… Je vais par conséquent m’empresser de rectifier le tir, en allant chercher une chanson de Tonton Georges – sans doute pas la plus connue, mais qui s’avère intéressante à plus d’un titre – j’ai nommé « Le petit joueur de flûteau ».

Comme souvent chez Brassens, l’intrigue se déroule, a priori, dans les limbes d’un passé lointain. Ce que nous révèlent les premiers vers de cette ballade aux indéniables échos médiévaux :

Le petit joueur de flûteau
Menait la musique au château
Pour la grâce de ses chansons
Le roi lui offrit un blason

Instinctivement, l’on songe au temps du poète François Villon pour lequel l’auteur des « Copains d’abord » ne cachait pas son admiration. « Château, roi, blason », voilà du vocabulaire qui fleure bon les machicoulis, les poulaines, les ménestrels, et accessoirement les ravages cumulés de la peste noire et de la Guerre de Cent Ans. L’on verra par la suite qu’il existe, comme souvent chez Brassens, une autre grille de lecture temporelle.

Mais revenons, cher Michel, sur cette entrée en matière où la bonne fortune semble sourire au protagoniste. Un blason, fichtre ! voilà qui va changer l’ordinaire de notre troubadour ! Sauf que patatras ! le musicien renvoie le roi et sa proposition dans les cordes. Ce qui, pour un joueur d’instrument à vent, s’apparente à une performance.


Je ne veux pas être noble
Répondit le croque-note

Un refus catégorique. Comment un vulgaire croque-note, un rimailleur de bas étage, pourrait-il prétendre atteindre l’étage le plus élevé de la société ? Entre nous, voilà qui rendrait jaloux ceux qui aujourd’hui, déplorent la panne permanente de notre ascenseur social…

Comme si quitter son état de manant était, pour le petit joueur de fluteau, non seulement, inimaginable, mais surtout incarnait une sorte de malédiction. Et tout au long de sa chanson, ce « ptit gars bien sympathique » qui réjouit les royales oreilles s’en va dérouler les raisons profondes de son rejet.

Avec un blason à la clé
Mon la se mettrait à gonfler
On dirait par tout le pays
Le joueur de flûte a trahi

Le mot-clé est prononcé : « trahison » ! Une trahison qui sera relayée – et certainement amplifiée – par la rumeur populaire. Entre nous, on n’aurait pas imaginé l’auteur de « La mauvaise réputation » aussi réceptif au qu’en dira-t-on… Petit aparté : il y a des gens d’extraction modeste qui manifestent beaucoup moins de réticences, quand un monarque décide de les anoblir. Pas vrai, messieurs Paul Mc Cartney et Mick Jagger ?… Fin de l’aparté.

Bref, comme le diction populaire le serine : on ne mélange pas les torchons aux serviettes. Sauf qu’ici, c’est un peu la revanche des torchons. Cette fois, la mésalliance interviendrait en s’acoquinant aux serviettes. Oui, c’est un peu le monde à l’envers. C’est en tout cas une incitation à une douce rébellion que de refuser ainsi les honneurs.

On notera qu’en affublant le terme « honneur » de l’article indéfini pluriel, l’on obtient phonétiquement « déshonneur » ; ce qui n’est peut-être pas un hasard. En somme, quand l’honneur devient pluriel, non seulement il n’est plus rien, mais il vous fait basculer dans l’infamie.

Celles et ceux, jamais avares de courbettes, et toujours en quête d’une breloque à accrocher à leur veston, seraient bien inspiré(e)s de réécouter « Le petit joueur de flûteau », et de méditer cette étrangeté orale de la langue française.

Comme je l’évoquais en introduction de cet à-coup fan, notre Tonton Georges préféré installe sa chanson au moyen-âge, pour mieux nous parler de son époque. Car l’aurez-vous deviné ? Le petit joueur de flûteau n’est autre qu’un certain Brassens Georges.

En effectuant quelques brèves recherches, l’on découvre ainsi que cette chanson, « Le petit joueur de flûteau », est une réponse à ceux qui exhortaient le célèbre moustachu à présenter sa candidature à l’Académie française. Rien de moins.

Il faut dire que pour Brassens, il y avait eu un coup de semonce, quand des parrains aussi prestigieux que Joseph Kessel et Marcel Pagnol, avaient conduit l’Académie française à lui décerner le Grand prix de poésie pour l’ensemble de son œuvre. C’était en 1967.

Brassens s’en était déclaré honoré mais, toujours fidèle à lui-même (c’est un modè este !), ajouta qu’il ne pensait pas le mériter. On ne se refait pas, n’est-ce pas…

Aussi, écoutons le poète-chanteur du xxème siècle faire un détour médiéval, opposant manoir et chaumière, ainsi que fille d’un grand d’Espagne et quelconque Ninon, pour mieux nous parler de simplicité, avec une indéfectible sincérité…

                                                                                                La version audible est disponible en allant voir par ici.

C’est bien sûr une chronique qui a été diffusée dans la très chouette émission de l’ami Michel Boutet, « Qu’est-ce que vous me chantez la ? ».

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *