La dernière fois que je suis venu au micro de « Qu’est-ce que vous me chantez là ? », j’avais sélectionné à ta demande, mon bon Michel, un programme passablement diversifié qui eut l’heur de réjouir quelques oreilles. Notamment, grâce à certains morceaux imprégnés de blues/rock. Je n’avais bien sûr pas emporté toute ma discothèque dans ma besace. Je me devais d’en conserver pour de futurs à-coups fans. Et la chanson du jour s’inscrit parfaitement dans cette démarche qui frise un peu la rétention. Oui, j’aurais pu loger dans cette sélection de naguère ce titre qui, cela ne gâte rien, fait l’objet d’une interprétation de « derrière les fagots », largement à la hauteur de la version originale. Point de départ écrit et composé par un monsieur qui n’est autre que Bob Dylan. Et lorsque j’aurai révélé l’identité de cette chanson, tu te diras, mon cher Michel, qu’il devenait incontournable que cette chanson se trouvât réappropriée par les « jeunes gens » qui ont choisi de l’interpréter… à leur tour. Car du beau monde a auparavant jeté son dévolu sur cet opus de M. Dylan. Jimmy Hendricks, Johnny Winter, U2, entre autres, et en France, Hugues Auffray.
Là, je suis sûr que tout le monde a trouvé. Même Michel Boutet ! Eh oui, aujourd’hui, je vous ai apporté, non pas des bonbons, mais « Like a rolling stone » interprété par Mick Jagger et ses petits camarades. Logique ! C’est un peu comme si Mireille Matthieu décidait soudain d’interpréter le grand succès de Jean-Sébastien Bach, La Passion selon St Matthieu. Non, finalement, là, ce n’est ni un exemple pertinent, ni une perspective réjouissante…
Evacuons tout de suite une vieille légende urbaine ayant cours dans le show biz, Bob Dylan n’a pas écrit « Like a rolling stone » en hommage aux joyeux compères qui tirent la langue sur leurs albums, et demeurent obstinément vivants en dépit de toutes les substances illicites qu’ils ont pu s’administrer durant leur longue carrière. Non, Dylan est parti du fameux proverbe « Pierre qui roule n’amasse pas mousse », et dont les termes demeurent inchangés dans sa version shakespearienne.
Aussi, sur les deux rives de la Manche, la signification reste-t-elle identique. En gros, une existence instable ne permet en rien de thésauriser et n’apporte que son lot de déconvenues. Morale bourgeoise ou lucidité née de l’expérience d’une existence quelque peu dissolue ? Va savoir.
En tout cas, en 1965, à l’époque où Dylan écrit ce qui deviendra un tube planétaire, ça ne va pas très fort pour lui. Il s’interroge sur la direction que devrait prendre sa carrière, voire sur le sens de sa vie. Il songe même à arrêter les concerts, les tournées, la musique. C’est alors qu’il écrit « Like a rolling stone » – un gros coup de blues – d’abord sous la forme d’un long poème, dans lequel il fera les coupes nécessaires pour n’en conserver que la substantifique moëlle, cette chanson mythique.
Sur ce fond de déprime, se superpose sa rencontre avec Edie Sedgwick, l’une des muses d’Andy Warhol.
Une très jolie fille que l’on aurait pu confondre avec Jean Seberg, issue d’une bonne famille californienne qui connaîtra une gloire en feu de paille, avant de succomber d’une overdose, à l’âge de 28 ans. Elle a failli intégrer le club des 27, puis s’est ravisée, de peu, refusant la compagnie de Morrison et de Joplin.
La belle a-t-elle réellement inspiré Dylan, sachant qu’en 1965, Edie Sedgwick, n’est pas encore tombée dans la décrépitude dépeinte dans la chanson. Alors, Dylan prophétique ou seulement aigri de constater que son histoire avec Miss Lonely – la « Mademoiselle Solitaire » de la chanson – ne prend pas la direction qu’il aurait souhaitée ? Difficile de se prononcer.
Ce qui est certain, en revanche, c’est que la protagoniste de « Like a rolling stone » passe sans transition de l’attitude hautaine qui colle si bien à l’aisance matérielle, à la descente aux enfers. Dès le premier couplet, le ton est donné :
Once upon a time you dressed so fine
You threw the bums a dime in your prime, didn’t you ?
Autrefois, tu t’habillais si bien
Tu jetais un peu de monnaie aux clochards au temps de ta splendeur, pas vrai ?
Tout ceci, c’est évidemment du passé, car désormais, la situation est tout autre :
Now you don’t talk so loud
Now you don’t seem so proud
About having to be scrounging for your next meal
Mais maintenant tu ne la ramènes plus
Maintenant tu ne fais plus ta fière
D’avoir à mendier pour ton prochain repas.
Et le refrain enfonce bien sûr le clou :
How does it feel, how does it feel?
To be on your own, with no direction home
A complete unknown, just like a rolling stone
Qu’est-ce que ça fait ? Qu’est-ce que ça fait ?
D’être livrée à toi-même, sans un toit pour t’abriter
Comme un parfait inconnu Juste comme une pierre qui dégringole
Alors, « Like a rolling stone » est-elle une ode teintée d’amertume destinée à Edie Sedgwick, l’icône des sixties utilisée par Warhol ? Le personnage sans scrupules évoqué dans le dernier couplet a quelque chose du dandy de la pop culture ; ce qui corroborerait l’hypothèse. Je me demande cependant si cette « Miss Lonely » n’incarne pas la réunion de plusieurs personnes, ce qui viendrait, à la fois compliquer la donne et accroître le mystère autour de cette chanson.
En attendant, ouvrez grandes vos oreilles pour y accueillir cette bien belle version du célébrissime succès de Bob Dylan, interprétée magistralement par les Stones.
Allez, c’est parti !
Et bien évidemment, pour changer (sans rien modifier à nos habitudes), la version « pour les oreilles » de cette chronique est disponible en allant faire un tour par là. Naturellement, écouter l’intégralité de l’émission est vivement conseillé.
Parfois, c’est bien aussi de ne pas comprendre les paroles, et de ne s’attacher qu’à la musique des mots accrochés aux mélodies ou aux rythmes. Ça vaut aussi pour certaines chansons en français !!!