L’on a cru qu’un nom de code tiendrait le haut du pavé pendant un sacré moment, qu’il ne serait pas détrôné de sitôt. Il répondait à la douce appellation de « 49-3 ». C’était concis. Efficace en diable. De facto, Il avait tout pour réussir et monopoliser le débat. Un débat qu’il avait paradoxalement annihilé. Et patatras, le voilà balayé par l’outsider alphanumérique que l’on n’attendait pas ! Un nouveau venu qui semble enclin à prendre ses quartiers chez nous comme s’il était chez lui. « Covid-19 » est son petit nom.
Comparé à son prédécesseur, ce nouvel arrivant a indéniablement un avantage : il possède LA dimension internationale qui faisait défaut à ce malheureux 49-3. Le pôvre restait désespérément franco-français, et comme empêtré dans ses gros sabots parlementaires.
49-3 imposait certes sa loi, mais dans les médias, il faisait « petit joueur », à côté de son remplaçant. Un successeur qui tel un rouleau compresseur, écrase tout sur son passage – jusqu’à nos plus élémentaires habitudes de fragiles mortels – et qui fait même le vide autour de lui. Dans la catégorie « nuisible de haute intensité », c’est la grande classe.
Simultanément, il réussit là où beaucoup d’autres avant lui ont échoué, et parfois, de manière retentissante. Prenons en guise d’exemple, et totalement au hasard, la thématique du terrorisme. Oubliées les ceintures d’explosifs qui transforment le badaud en tétraplégique. Éradiqués tout autant ces déments qui se mettent à abattre du promeneur ou de l’écolier, sans même que ceux-ci ne les aient regardés de travers. Alors que nous nous étions quasiment habitué(e)s à vivre dans l’indéboulonnable psychose de l’attentat, l’on constate que les terroristes ont aujourd’hui disparu de la surface du globe. Comme par enchantement. Ce qui était inenvisageable seulement trois mois auparavant est maintenant une réalité. Voilà qui force l’admiration, non ?
Aussi, de deux choses l’une, soit le Covid-19 a frappé plus durement encore que le reste de la population mondiale, les barbus lapideurs de femmes et autres récitants de la sourate dite de la kalach, soit ces derniers ont décidé unilatéralement d’une trêve de longue durée. Par civisme ou par humanisme – si tenté que l’on puisse associer ces jolis termes à de tels d’individus. Du style : ce n’est pas la peine d’en rajouter avec nos assassinats rituels, l’humanité est suffisamment mal en point comme ça… Ce qui serait pour le moins déconcertant. Ou alors, mais ce serait encore plus improbable : les médias ont estimé que face à cette sorte de résurrection de la peste noire, il y avait « un coup » assez formidable à jouer, et qu’il convenait dès lors de délaisser l’islamisme plus que radical ; le filon – pourtant si juteux naguère – n’étant plus assez effrayant. Qui sait d’ailleurs, si confinés dans leur grotte afghane, des candidats au martyre ne se lamentent pas, en déplorant le désintérêt médiatique dont ils sont l’objet ?
Et que dire de ces Cassandre de l’écologie, ces pourfendeurs du réchauffement climatique, ces lanceurs d’alertes défenseurs de la planète ! Tous les Nicolas Hulot, les Pierre Rabhi, les Greta Thunberg, qui infatigablement, et chacun(e) à leur manière, déploient le même argumentaire nous annonçant, souvent depuis des lustres, que ça sent diablement le brûlé. Un argumentaire dont nous ne nous soucions guère, parce qu’il y a toujours plus urgent à gérer. La dernière promo sur les écrans plats chez Trucmuche-store par exemple. Il sera toujours bien temps de s’occuper de la planète ! » pensons-nous, tandis que nous heurtons le mur, en klaxonnant de plus belle et en braillant « Après nous le déluge ! ». Et voilà que cette décroissance qui n’était qu’un vague sujet de discussion pour les dîners en ville, voilà que l’impensable usage rationné – sinon rationnel – de la bagnole, sont là et bien là. L’inaudible s’est finalement imposé sans que nous ne l’ayons senti s’approcher.
Et c’est un machin encore plus invisible qu’une campagne de presse en faveur de la forêt amazonienne qui l’a déclenché. Sans moyen particulier. Avec juste la faculté de provoquer une pétoche de derrière les fagots. Bon d’là ! L’espèce humaine serait-elle réfractaire aux réflexions étayées, et juste sensible aux grosses baffes en pleine tronche ? Vous avez un quart d’heure et c’est coef 19. Au moins !…
Au passage, l’on notera qu’un virus qui attaque les poumons de ses hôtes avec appétit, permet par contrecoup d’améliorer très sensiblement la qualité de l’air, là où d’ordinaire, l’on respirait sans trop s’en émouvoir, particules fines, oxydes d’azote et autres relents soufrés. Entre nous, il n’est pas admirable, ce paradoxe ?… Quoi qu’il en soit le Chinois, l’Indien et nombre de petites mains fabriquant pour pas cher tout ce que nous ne fabriquons plus en Occident… mais que nous persistons à consommer frénétiquement, découvrent qu’il y a encore du ciel bleu derrière les panaches crasseux des cheminées d’usines. Aussi, et sans virer dans un mysticisme à trois euros cinquante, n’est-il pas déraisonnable de souligner ici la seconde signification que cache le terme « d’apocalypse », à savoir la « révélation ». Eh oui, une opportunité à nous montrer moins niais se dessine, pour peu que l’on s’en rende compte ! Tout dépendra naturellement comment les survivant(e)s – s’il y en a ! – entreprendront d’organiser la suite de l’aventure humaine. Eu égard au contentieux des millénaires précédents, l’on est en droit d’afficher sur ce point, un optimisme plus que modéré.
Après cette parenthèse mystico-futuriste, concentrons-nous sur ce qui nous a conduit à devoir littéralement bricoler nos moyens de protection contre le virus, en confectionnant nous-mêmes nos masques chirurgicaux dans le tissu des vieilles nappes de Taty Hortense ou à distiller du gel hydroalcoolique avec l’alambic de Tonton Nestor. Ce qui s’avère, je vous le concède, pour le moins surprenant dans un pays réputé économiquement mieux loti que le Zimbabwe.
La raison en est finalement simple. Nos dirigeants depuis des décennies ne se récitent en boucle qu’un seul évangile. Celui selon St Fluxtendu. Les stocks. Vous n’imaginez pas ce que coûte la gestion des stocks. « Un pognon de dingue ! » comme dirait l’autre. Et de toute façon, pourquoi se soucier de faire des réserves de produits si précieux en cas de « coup dur sanitaire », puisque les Chinois en fabriquent à tout va ? Certes. Ouvrons néanmoins une brève parenthèse :
Admettons qu’une sévère difficulté survienne, du genre : un volcan islandais au nom imprononçable (vous excuserez le recours au pléonasme) entre en éruption et de facto perturbe gravement le trafic aérien mondial, au moment précis où se déclare une pandémie, hein ? La Loi de Murphy, ça vous dit bien quelque chose, non ? Ça va devenir soudain coton d’acheminer du matériel sanitaire indispensable depuis l’autre bout du monde, dans une opacité totale. Shanghai n’est quand même pas la banlieue d’Orly ! Ah là là, Tonton Albert, que d’imagination ! Vous devriez écrire des nouvelles d’anticipation !
Ou alors, tenez, on se fâche tout rouge avec la Chine, pour un motif quelconque ! Par exemple, il nous devient intolérable que les Droits de l’Homme soient aussi ouvertement bafoués par Pékin ? Hilarité contagieuse et immédiate. Trouvez donc un motif sérieux, Tonton Albert, vous êtes ridicule ; comme si le sort de quelques agitateurs souciait encore les chancelleries occidentales ! Sachez que même si nous entrions en guerre contre la Chine, nous trouverions encore des moyens détournés pour faire du commerce avec elle. Le Commerce – avec une GIGANTESQUE majuscule – est la seule religion qui vaille, et la Chine est son prophète. Alors, cessez donc de dire que la mondialisation place le pays dans un état de dépendance complète vis-à-vis de la Chine. Il faut vivre avec son temps, que diable ! Et refermez-moi cette foutue parenthèse qui sinon va finir par nous saper le moral. Comme si les Chinois pouvaient s’arrêter de bosser ! Et revenons à ces stocks qui ne servent à rien. Donc ?…
Eh bien, on supprime les stocks ! » répondent dans une clairvoyance qui fait plaisir à entendre, et en chœur, Monsieur De Courterme, énarque depuis plusieurs générations, et Madame De Courtevue, qui tout bien considéré, ira loin, parce que compatible avec tous les logiciels gouvernementaux passés et à venir. Les économies réalisées seront ainsi substantielles. Ce sont les agences de notation qui vont être contentes ! Au fait, on n’entend plus beaucoup parler ces temps-ci, des délivreurs de triple A et autres maquereaux-économistes…
Comme vous ne l’ignorez pas, l’Exécutif ne s’est guère attardé sur le fait que le stock national de masques avait été sacrément réduit, amputé dans des proportions considérables, comme l’ont si bien révélé le journaliste Benoit Collombat et la Cellule Investigation de Radio-France. Même si le gouvernement actuel n’est pas à l’origine de cette fonte du stock comparable à celle en cours de la calotte polaire, il n’a rien fait non plus (euphémisme !) pour inverser la tendance. Fâcheux pour faire face à la survenue d’une pneumopathie aussi hautement contagieuse que redoutable… Qu’à cela ne tienne, il aura suffi d’adapter le discours officiel. A la manière de : Je t’aurais bien fait une omelette au lard, mais je n’ai pas d’œufs. Et finalement, ça tombe plutôt bien, car je n’ai pas de lard non plus.
Et donc, faute de lard et de cocos frais, en bons élèves du Thatchérisme qu’ils sont, nos bien-aimés dirigeants ont eu recours à l’un des principes-clefs du néo-libéralisme que l’on peut résumer ainsi : si vous ne pouvez pas vous payer un service ou quoi que ce soit d’indispensable, apprenez donc à vous en passer. L’adage s’applique évidemment aux moyens de protection individuelle en temps de pandémie. Mieux, pour accroître encore le flou d’une communication pour le moins brumeuse, il a même été argumenté sur la prétendue inutilité du port du masque. Logique, mieux valait raconter des sornettes plutôt que d’avouer l’imprévoyance des décideurs.
Le message subliminal de nos « néo-arracheurs de dents » transpirait ainsi : Cela ne sert à rien de pleurnicher pour disposer d’un équipement inutile. Une variante du classique : Circulez, il n’y a rien à voir. En un mot : grandiose ! L’on se demande par quel hasard, ils n’ont pas osé nous dire : Protégez-vous,… en imaginant que vous portez un masque !… ». Etrangement, d’autres pays – au hasard la Corée du Sud – ont intégré promptement la nécessité du recours au masque de protection pour toute la population. Allez, il est vrai qu’en Corée, ne pas répandre ses microbes est pour ainsi dire culturel… et accessoirement, les pathologies que transmet régulièrement le voisin chinois commencent à générer des reflexes. Tout aussi bizarrement, grâce à un équipement parfaitement inutile vu de Paris, les Sud-Coréens n’avaient début avril qu’un taux de létalité de 1.7 % alors qu’il atteignait déjà 6.7 % en France.
Et puis, et puis, le Gouvernement s’est connecté sur www.rétropédalage.com pour renier ce qu’il avait défendu mordicus jusqu’alors. Je ne sais pas pourquoi, mais rapidement, j’ai ressenti comme une certaine défiance vis-à-vis des « jugements » du Professeur Salomon…
De toute manière, pourquoi s’inquiéter outre mesure puisque nous disposions d’une parade efficace contre la contamination. Pour ne pas tomber malade, il suffisait de se laver les mains. Fastoche ! Du savon et de la flotte, ça, on en avait encore. Sur ce point, la France reprenait peut-être même l’avantage sur le Zimbabwe. De quoi nous plaignions-nous ?… Simultanément, rappeler les vertus du lavage des mains n’était sans doute pas inutile dans un pays où les gorets sont légion. Le Gaulois – surtout le mâle – ne s’élève pas à l’eau claire, c’est bien connu.
Par contre, le Gaulois est censé se rendre aux urnes quand on le sollicite. Surtout lorsqu’il s’agit d’élire son maire, cet édile qui, souvent à juste titre, incarne sans fard cette proximité tant vantée, de Dunkerque à Perpignan. Attention, les élections, et municipales de surcroît, c’est du sérieux ; ce n’est tout de même pas un virus débarqué clandestinement d’Extrême-Orient qui allait remettre en cause le suffrage universel !
Des milliers de gens se succédant à la queue leu leu dans un isoloir – soit dans moins d’un mètre-carré – en pleine période d’épidémie, manifestement, ça n’a pas fait réagir grand monde à Matignon comme à l’Elysée. La notion de contamination interhumaine devait être encore abstraite dans ces hautes sphères. Mais j’oubliais la parade absolue, incarnée par le lavage des mains ! De gorets avérés, les Gaulois étaient en passe de se métamorphoser en ratons-laveurs.
Pour l’occasion, des stocks de gel hydroalcoolique avaient été débloqués. Bref, l’électeur/trice n’avait vraiment pas de quoi s’inquiéter. Bizarrement, le chaland a plutôt boudé le scrutin. Chez le citoyen, le devoir électoral est soudain devenu secondaire devant la préservation de sa propre vie. Voilà qui a dû faire un choc dans les hautes sphères précitées. Au final, des élections municipales offrant des résultats totalement faussés en raison d’une abstention record. Au Zimbabwe, les élections sont truquées ; et chez nous, elles sont vidées de leur sens. Qui dit mieux ? Cerise sur le gâteau : en raison de l’amplification de la pandémie, même dans les municipalités où le scrutin – comme mon sang – n’a fait qu’un tour, les conseils élus n’ont pu siéger. Il était donc sacrément pertinent de maintenir ces satanées élections, au risque de contaminer davantage de monde. Passons… Et revenons sur le matériel de protection individuelle. Levons le rideau sur l’acte 2.
Car, dans un second temps, des masques, l’on nous en a promis ! Il en a été commandés ! Tant et tant. Des milliers par ci, des millions par là. Et sans tarder, un glissement sémantique (un de plus !) s’est opéré. Le terme « commandés » est devenu, dans les bouches ministérielles, synonyme de « disponibles ». Ne restait plus pour faire patienter le quidam inquiet, qu’à entonner sur l’air de Malbrough s’en va en guerre, au choix : « Je n’sais quand arriveront » ou bien « Ils arriveront à Pâques, mironton mirontaine… ». En soliste ne connaissant qu’une unique rengaine, l’actuel ministre de la santé nous a déroulé sa comptine, alors que celle qui l’avait précédé à ce poste se recyclait en pleureuse parisienne. Il est sûr qu’avec le nombre d’enterrements qui enflait, sa nouvelle carrière de pleureuse était toute tracée.
Ce n’était pas le tout de commander les masques, il fallait aussi les réceptionner. Et là, de nouvelles difficultés sont apparues. Le carnet de chèques yankee notamment. Une petite rallonge en dollars sur un tarmac chinois, et hop ! La cargaison prenait la destination de New York plutôt que celle de Roissy. JFK versus CDG, une façon comme une autre de tester post mortem la popularité des grands hommes. Un contrat est peu de choses, finalement. Il paraît que des masques achetés il y a peu la bagatelle de 22 centimes pièce, s’arrachaient aujourd’hui à 1.50 € l’unité. L’offre et la demande. Toujours. Et bientôt, je vous parie que le masque FFP2 sera le produit d’appel dans telle ou telle enseigne de la grande distribution. Du style : Pour l’achat de 20 masques, un demi-litre de solution hydroalcoolique offert !…
Heureusement que le Gouvernement disposait dans son arsenal pour lutter contre la raréfaction des masques, d’une arme imparable : la réquisition. C’est ainsi qu’une livraison destinée aux Suédois a pu être interceptée, et qu’une autre commandée par la Région Bourgogne-Franche Comté, détournée au profit de son homologue de Grand Est. Fabuleux. Je dis souvent qu’il faut bien choisir les compagnons avec lesquels l’on compte faire naufrage ; ce type d’anecdote illustre à merveille que mes propos, certes un tantinet misanthropes, ne sont pas que vue de l’esprit.
Et puisque je parle de réquisition, quelques mauvais coucheurs dans mon genre n’ont pas manqué de constater que des masques, en cherchant bien, on pouvait en dénicher sans trop de difficultés. Il suffisait juste d’aller les chercher dans certaines entreprises. C’est ainsi qu’à la fin mars, l’antenne régionale d’ENEDIS Pays de Loire, par exemple, disposait d’un stock inutilisé évalué à 120 000 unités de type FFP2 qui faisaient tant défaut au personnel soignant des hôpitaux. Sous la pression des syndicats de l’entreprise, plutôt éberlués d’apprendre l’existence d’un tel « magot », la direction a gracieusement consenti à livrer 600 masques – soit royalement 0.5 % de son stock ! – à la Préfecture de la Vendée. La générosité, on a ça dans le sang ou pas.
Il y eut nettement mieux cependant, avec les 24 millions de masques appartenant à La Poste et stockés dans un entrepôt de Seine-et-Marne. Des masques dont les postiers et postières, pourtant au contact du public n’ont pas entrevu l’ombre d’un élastique. Dépourvus de moyens de protection, ces personnels ont exercé leur droit de retrait, contraignant la direction à restreindre la distribution du courrier et l’activité des centres de tri. Visionnaire comme seul un chef dans la tourmente peut l’être, la DRH de La Poste ne souhaitait pas que l’info s’ébruite, de crainte de voir son pactole réquisitionné par l’Etat (sic). Là encore, la solidarité avec le personnel soignant s’exprimait sans ambages. Sans doute ladite DRH ne ménage-t-elle point ses applaudissements à l’adresse des blouses blanches, chaque soir à sa fenêtre ?…
Confrontés à tant de savoir-faire, il est certain qu’il ne restait guère de parades à mettre en oeuvre afin de freiner l’inexorable avancée de l’épidémie. Épidémie qui, juré craché, n’était pourtant pas censée atteindre notre beau pays. Un remake du nuage de Tchernobyl ?
Hâtivement, et un tantinet fébriles, nos ministres de La République en Panne ont consulté les archives de Pénurie-Magazine et en ont extrait ce bon vieux remède d’autrefois qui se résume ainsi : quand vous ne disposez pas d’omelette au lard, sous quelque forme que ce soit, optez pour le confinement. Le confinement, c’est en quelques mots, la prophylaxie du pauvre. Utilisée depuis le Moyen Âge voire l’Antiquité, la méthode possède un avantage précieux : cela permet à un gouvernement imprévoyant de faire peser sur ses ouailles le poids de la responsabilité quant à l’avancée de la contagion, et ainsi d’éviter la phase toujours délicate du mea culpa. Mieux, la culpabilité et la sanction sont ainsi renvoyées sur ceux qui n’adhéreraient pas, ou que du bout des lèvres, à cette stratégie. Faute de matériel de protection, et à défaut de vaccin, il restait toujours les carnets à souche de la maréchaussée. Magistral.
Il est évident qu’il fallait bien trouver quelque chose afin de ne pas saturer les capacités d’accueil des hôpitaux, et espérer ainsi sauver le plus de vies possible. Certes… Mais entre nous, l’hôpital, ce n’est pas cette structure qui s’était attirée les foudres jupitériennes du Pouvoir ? L’hôpital, ce n’est pas ce Service Public qui devait – doxa comptable oblige ! – devenir une entreprise rentable ? Afin d’y parvenir, de sévères coupes budgétaires n’y ont-elles pas été pratiquées, poussant ses personnels exténués à une grève illimitée ? Les personnels hospitaliers ne sont-ils pas ceux qui alertèrent sans répit ce même Pouvoir sur les dangers de sa politique – une politique qui conduirait inexorablement, faute de moyens, ces hospitaliers à l’impossibilité d’exercer leurs missions dans des conditions acceptables ? Des missions qui, faut-il le rappeler, consistent à soigner des gens ? Ce n’est donc pas le moindre des paradoxes que de voir aujourd’hui, des hôpitaux au bord de l’asphyxie, s’évertuer à gérer les effets dévastateurs d’une terrifiante pneumopathie ! En somme, ce que le Pouvoir attendait de l’Hôpital, ce n’était rien d’autre qu’un miracle…
J’avoue que j’aurais dû me méfier lorsque j’ai entendu notre bon président annoncer que nous étions en guerre. On a effectivement vu ce que cela a donné lors d’épisodes antérieurs. Faut-il ici rappeler que nous avons toujours eu une guerre de retard ? En 1914, nous avions conservé les pratiques napoléoniennes, et en 1940, notre cavalerie n’a pas pesé bien lourd face aux Panzers teutons. Il y avait donc fort à parier, avec cette antienne élyséenne du « Nous sommes en guerre » (je me demande quel est le brillant conseiller qui a suggéré cette rhétorique martiale et ce ton infantilisant…), que le personnel soignant irait au casse-pipe juste équipé de ses attributs sexuels et de son couteau suisse. En même temps, heureusement que cette « guerre » relevait du champ, non pas de bataille, mais de celui de la métaphore, car en cas de conflit armé, avec d’aussi brillants stratèges gérant l’approvisionnement des « troupes » en « munitions », c’eût été encore plus promptement plié qu’en Juin 40.
J’ose juste espérer qu’un « esprit » des hautes sphères un peu moins obtus que ses compères s’est alors aperçu en se frappant le front – façon « Bon sang, mais c’est bien sûr ! » – qu’un système de santé sacrément mal en point, ce n’était pas la situation rêvée pour affronter une épidémie de cette ampleur. Quant à la notion « d’effet multiplicateur », en raison des stratégies comptables prônées auparavant, je vous laisse imaginer son impact proche du zéro absolu sur de tels esprits supérieurs.
Un faisceau de phénomènes enclenchés parfois depuis des décennies a par conséquent concouru à ce que le roi se retrouve nu, à l’instar du protagoniste du conte d’Andersen. Avec juste dans sa manche la pseudo-parade du confinement en guise de joker, pour continuer la partie. Que voulez-vous, la Loi de Murphy est ainsi faite qu’elle amplifie encore ses effets, quand l’on prépare soi-même tous les ingrédients de la catastrophe.
Que s’est-il donc passé concrètement depuis que nous nous sommes retrouvés en captivité à notre domicile ? Dans les années 80, quand le virus du SIDA a commencé ses premiers ravages significatifs, il nous était enjoint de « sortir couverts ». Désormais, « il ne nous faut plus sortir du tout ». L’évolution est notable et n’augure rien de bien folichon. Aurait-on un jour imaginé qu’il faille rédiger un mot d’excuse pour sortir de chez soi sans trop risquer de se faire racketter par des policiers trop zélés ?… Un peu comme au Zimbabwe, en somme.
Indéniablement, nos libertés ont pris du plomb dans l’aile. Liberté de circuler, de se réunir, ont été mises au placard, et ne devraient en ressortir qu’à doses homéopathiques. Et je n’ose même pas évoquer la liberté de manifester qui pourtant – compte tenu de ce que j’ai rappelé plus haut – aurait toute légitimité dans le contexte actuel. Tout régime déstabilisé par ses erreurs de discernement, englué par des choix ne servant qu’à conforter une oligarchie, ne peut qu’être tenté de saisir la moindre opportunité de raffermir son pouvoir. Au besoin en rognant sur les libertés fondamentales. Préserver la santé de ses compatriotes, avouons que le motif est de belle facture. Qui pourrait s’opposer à ce que l’on prenne soin de sa santé, quand bien même il lui faudrait vivre cloitré ? Personnellement, je n’oublie pas qu’une célèbre prison parisienne porte le doux nom de « La Santé ». Dans la période que nous traversons, je peine à y voir une pure coïncidence, voire un oxymore.
Simultanément, il est vraisemblable qu’un pouvoir capable de s’entourer de gens de la trempe d’un Alexandre Benalla est en mesure d’aller loin dans les débordements de toute nature. Et peut-être qu’en se rapprochant de la Présidence du Zimbabwe, l’Elysée parviendrait même à encore se surpasser ?… Du reste, sans doute pour ne pas se trouver à nouveau démuni et raillé, comme dans la phase « masques & autres équipements de protection », le Gouvernement a pris cette fois ses précautions en prévision du déconfinement. De belles quantités de gaz lacrymogènes pour un montant atteignant une somme rondelette (3.4 millions d’euros) ont en effet été achetées pour équiper Police et Gendarmerie. Jamais le principe « Gouverner, c’est prévoir » n’a contenu autant de vérité. On peut juste se rassurer en se rappelant que Président de la République est certes une fonction prestigieuse, mais ce n’est heureusement qu’un CDD.
L’espace autour de nous s’est réduit, sinon ratatiné. Plus ou moins intensément, selon le niveau social des confinés. Le confinement dans un appartement HLM sans balcon n’a pas grand chose en commun avec celui qui se déroule pépère à siroter des mojitos au bord d’une piscine privée. La vie est ainsi faite ; quand certains n’ont guère que le tour de leur pâté de maisons pour seul horizon (je ne parle pas d’une tranche de « pâté maison »!), d’autres ont pu s’échapper vers leur résidence secondaire du bord de mer, à l’aune de ces gens de la bonne société fuyant la peste que décrit Boccace dans son Décaméron. D’ailleurs, faire juste le tour de son quartier, cela risque (si j’ose dire !) de faire léger pour éliminer les plâtrées de nouilles qui constituent la majorité de l’alimentation du moment ! Face à la flambée attendue de l’obésité, les nutritionnistes devraient avoir du pain sur la planche (trop facile, celle-là, Tonton Albert !) quand les confiné(e)s en surpoids ressortiront de leur trou.
Il est resté néanmoins permis de se rendre sur son lieu de travail ou d’aller dépenser ses sous chez SuperflU et consorts. C’est tellement pratique la grande distribution quand tout est fermé alentour. Je peux continuer d’y acheter mes bouquins, des fleurs pour mon/ma chéri(e), voire un lave-linge en promo ! La grande distribution a pu en effet maintenir l’intégralité de ses rayons ouverts, montrant ainsi clairement que la notion de « première nécessité » pouvait s’avérer à géométrie variable, selon la surface de vente que vous représentez.
Commerce et artisanat de proximité, bistrots, restaurants, tout ce qui crée de la convivialité s’est retrouvé dans la tourmente. Quant à la Culture, le coup porté est tellement dur que c’est à se demander si le spectacle vivant survivra à l’épidémie. Toujours soucieux des finances, le Gouvernement osera-t-il « régler » leur compte aux Intermittents à travers cette opportunité ? L’avenir nous le dira.
Et côté langage alors ? Des mots tels que « touchant » ou « proche » prêtent désormais au mieux, à sourire, au pire, à être bannis de notre vocabulaire. Qu’est-ce qu’un proche que l’on ne peut plus approcher à moins d’un mètre ? Comment désormais être « touché(e) » par quoi que ce soit, alors que le toucher est devenu le sens de tous les dangers, la pratique du risque absolu ? Nous évoluons chaque jour, depuis la mi-mars, dans un monde peuplé de potentiel(le)s pestiféré(e)s ; un monde qui prend des allures de bloc opératoire (tout le monde portera bientôt son masque et sa combinaison NBC). La méfiance à l’égard d’autrui ira fatalement en s’amplifiant ; je m’interroge sur le reliquat de solidarité qui demeurera après l’épreuve du Covid-19.
Par bien des aspects, il se pourrait même que l’apparition du Covid-19 incarne la forme la plus aboutie du recentrement sur soi prôné depuis quelques décennies par le néolibéralisme : Ne comptez que sur vous-même ! N’oubliez pas que vous vivez dans une compétition permanente ! Les autres ne sont là que pour vous pourrir la vie ! Seul(e)s les plus fort(e)s tireront les marrons du feu ! etc, etc…
Tels sont les rhétoriques de carnassiers dont on nous a abreuvé(e)s ad nauseam depuis l’ère Thatcher/Reagan dans laquelle nous pataugeons toujours. Dans cet individualisme à tout crin, au départ pour sauver son job, et aujourd’hui – pourquoi pas ? – pour sauver sa peau. L’extrême solitude érigée en dogme avec pour tout moteur, la peur viscérale de tomber gravement malade. Ils auront fière allure les pots que nous prendrons entre ami(e)s aux terrasses des bars… avec nos masques chirurgicaux sur le visage. Au moins, on relancera ainsi l’industrie de la paille !
Et puis, en guise d’exercice de la citoyenneté, tout prochainement la délation en direct, 24 heures/24, sur votre smartphone. Il vous suffira juste de télécharger l’application www.vichycommeautrefois.com . Voilà qui fleure bon les lendemains qui déchantent. Et après avoir été si longtemps confiné(e)s, nous pourrions bien en ressortir déconfits.
Le Covid-19, pur produit de la mondialisation, aura créé une déflagration considérable à l’échelle planétaire dont beaucoup d’effets induits demeurent pour l’instant inconnus. Des morts par centaines de milliers, des économies exsangues, des rodomontades belliqueuses de certains dirigeants de la dream team de « bras cassés » qui préside à nos destinées d’humains, le défaut patent à imaginer une tout autre teneur aux relations internationales, etc, ne laissent augurer rien de bien fameux. Accessoirement, l’arrêt forcé de nombreux pans de l’économie mondiale aura fichu pour un temps, une paix royale à la biodiversité. C’est mince comme effet positif, mais c’est déjà ça. D’autant qu’il n’est pas à écarter que la contamination de l’espèce humaine ait pour origine l’un de ces coups de boutoir portés sans relâche à Mère Nature (déforestation et disparition des habitats naturels, agriculture intensive, etc…).
Depuis quelques décennies, la Chine a pris l’habitude d’exporter les pathologies respiratoires qu’elle inaugure sur son sol. D’ordinaire, je n’ai rien contre le partage. Bien au contraire. Mais je dois avouer que les redites – surtout lorsqu’elles prennent une telle dimension – commencent à lasser.
Un « meilleure vente » des années 70 s’intitulait « Quand la Chine s’éveillera… ». Rétrospectivement, le titre de cet essai peut apparaître prophétique, et des fois, j’aimerais bien qu’elle retourne se coucher, la Chine.
Il fallait que ce soit toi, Albert, pour que j’accepte de mon plein gré de rester ainsi vissée devant mon écran, lunettes sur le nez et clope au bec (c’est de la prévention) pour y déguster un si long texte !
Tout est dit, et bien dit … Même si, « vu de ma fenêtre », je rajouterai bien à toutes ces pépites quelques grains de vécu territorial. Mais bon, j’ai au moins un avantage sur toi : je suis officiellement rouge, moi, monsieur ! (en parallèle, je vois aussi rouge, mais bref, passons …)
Après ces 2 mois de résidence surveillée, nous allons donc entamer une période de liberté conditionnelle. Pourtant, que je sache, c’est pas NOUS qui l’avons tué, le système de santé … Tout cela a un âcre arrière-goût de double peine.
Merci pour cette rétrospective très détaillée des événements que nous avons avons vécus collectivement à l’échelle de la planète. Le ton est certes cynique à certains égards mais malheureusement la réalité semble apprécier ce mode de fonctionnement.
Le deconfinement porte aussi ces nombreux messages nous annonçant qu’il dépendrait de notre comportement….
Une suite sur le même ton, des mois qui s’annoncent risque de s’imposer.
Patrick