Une nouvelle rubrique, ou plutôt sous-rubrique sur les pages du Saltimbhoucq. Une nouveauté dont les abonné(e)s à la « nouillezes plus tard » de ce site ont déjà eu vent. Ah bon, vous n’êtes pas encore abonné(e) !?… Voyons ! mais c’est en bas de la page d’accueil…
L’ami Michel Boutet a eu en effet l’excellente idée de reprendre du service sur l’antenne de Radio G !, pour s’y adonner à son péché mignon, à savoir la promotion de la chanson francophone de qualité. Comme nul ne peut avoir que des idées géniales, Michel a cru bon de me proposer de revenir distiller mes petites humeurs dans son émission intitulée « Qu’est-ce que vous me chantez là ? ». A la condition que ces humeurs soient l’opportunité de mettre en avant une chanson de mon choix (mes « mauvaises humeurs » plus « généralistes » restant quant à elles réservées à l’émission « Topette ! » de l’ami Pierre-Benoît, toujours sur Radio G ! bien sûr.). Autant dire que je ne me suis pas fait prier pour renouer avec cette complicité déjà étrennée durant deux ans dans « On est là pour voir le défilé ». Le texte de ce tout premier « A-coup fan » vous est proposé ci-dessous. Le lien vers sa version audio est disponible à la fin de ce petit baratin.
Avant toute chose, Cher Michel, sache que je suis – et sans flagornerie aucune – sacrément heureux de te retrouver au micro de Radio G !. Nous voilà par conséquent repartis, tous deux, tels deux compères friands de beaux textes et de douces mélodies, pour une nouvelle aventure radiophonique. Tu peux naturellement interrompre mon baratin à tout moment, mais laisse-moi cependant dire deux ou trois bricoles.
Pour cette toute première chronique nouvelle formule, j’ai souhaité évoquer un aspect saisonnier. Même si, je te le concède bien volontiers, il n’y a plus de saison. On attrape la grippe en plein été et les cerisiers se remettent à fleurir fin octobre dans certaine bourgade de Saône-et-Loire. Si, si, j’ai des infos de première main sur cette énième preuve de l’emballement climatique qui n’est que vue de l’esprit, comme le clamait si bien et si fort M. Claude Allègre, devant la forêt de micros que les médias mettaient naguère à sa disposition.
Je tenais ainsi à parler des oiseaux migrateurs. Non, Michel, ce ne sont pas des oiseaux qui ne grattent que l’un de leurs flancs, mais de vigoureux voyageurs qui, chez nous, rythment ces fameuses saisons qui ne ressemblent plus à rien. La plupart d’entre eux sont désormais repartis vers leurs quartiers d’hiver, tandis que d’autres nous arrivent des contrées septentrionales de la vieille Europe où il ne fait pas 20°C à la Toussaint. Tel le rouge-gorge familier, que les ornithologues du moyen âge assimilaient au rouge-queue. Ces scientifiques de jadis confondaient en effet les deux passereaux, pensant que la même bestiole changeait d’apparence au gré des saisons. Je me demande quelle aurait pu être l’opinion éclairée d’un Claude Allègre médiéval sur cette thèse quelque peu surprenante…
Mais je digresse, je digresse. Quoique, car il y a une certaine cohérence dans mon babillage. Je comptais mettre un petit coup de projecteur sur un texte que tu apprécies probablement autant que moi. C’est un texte d’un certain Jean Richepin intitulé, « Les oiseaux de passage » que notre Tonton Georges préféré a eu la bonne idée de mettre en musique. Les gens qui nous écoutent ne l’ignorent pas : Brassens a parfois emprunté les vers d’autrui pour y greffer ses subtiles ritournelles. C’est ainsi qu’il a pioché chez François Villon, chez Aragon, chez Paul Fort, chez Antoine Pol, ou ici chez Jean Richepin. Ce dernier avait d’ailleurs les faveurs de Brassens, puisqu’un autre de ses poèmes – Les Philistins – fut mis en musique par le barde sétois. Merci, de ne pas ajouter, Michel, « Et la barbe, c’est toi aussi ! »…
Mais Jean Richepin, qui est-il ? Né en Algérie en 1849 d’un papa médecin militaire (désolé, je n’ai rien trouvé sur la maman !), il s’intéresse très tôt à la littérature, exerce les métiers les plus divers et pas les plus rémunérateurs, se lie d’amitié avec l’écrivain communard Jules Vallès. Il publie en 1876, son premier recueil de poésie, « La Chanson des Gueux », dans lequel figure « Les Oiseaux de Passage ». L’ouvrage fait scandale et lui vaut une copieuse amende assortie d’un mois de prison. On n’égratigne pas impunément le bourgeois, surtout quand il est solidement établi aux manettes du pays. En effet, la Troisième République qui essora dans un bain de sang l’expérience de la Commune, n’a pas du tout apprécié les vers de celui qui est alors perçu comme un marginal. Le temps faisant son œuvre, la dernière partie de son existence sera beaucoup plus faste pour ce Villon du XIXème puisqu’il finira, tout de même, à l’Académie Française. Joli parcours, non ? La performance est certes moindre que celle de Nelson Mandela, mais mérite d’être saluée.
Regardons maintenant en quoi cette « Chanson des Gueux », à travers l’exemple de ses « Oiseaux de Passage », a pu choquer le bourgeois de l’époque. Ah, il faut reconnaître que Richepin envoie du lourd ! La société propre sur elle et assise dans l’opulence est dépeinte comme les volailles d’une basse-cour, dépourvues de tout idéal et pataugeant dans leur fumier.
Aussi, comme leur vie est douce, bonne et grasse !
Qu’ils sont patriarcaux, béats, vermillonnés,
Cinq pour cent ! Quel bonheur de dormir dans sa crasse,
De ne pas voir plus loin que le bout de son nez !
N’avoir aucun besoin de baiser sur les lèvres,
Et, loin des songes vains, loin des soucis cuisants,
Posséder pour tout cœur un viscère sans fièvres,
Un coucou régulier et garanti dix ans !
Ou encore :
Aucun rêve de lune, aucun désir de jonque l’emportant sans rameur sur un fleuve inconnu
Pas de doute, le gars Richepin place la barre assez haut. Imaginez un seul instant qu’au bout de ce fleuve inconnu, il y ait des rapides ! Hein ?… Et pire encore, que vous ayez omis de souscrire une assurance-vie !…
Mais Richepin ne s’arrête pas là, car en contrepoint de ces aisés pathétiques, il va mettre en exergue des perdants magnifiques. Le miroir se fait déformant, mais offre de la prestance à celles et ceux qui en sont de prime abord dépourvus. Misérables, Romanichels, vêtus de haillons, ils sont pourtant les princes qui tutoient les chimères, les rois de l’azur qui se rient des frontières. Voyez plutôt :
Regardez-les passer ! Eux, ce sont les sauvages,
Ils vont où leur désir le veut, par dessus monts,
Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages.
L’air qu’ils boivent ferait éclater vos poumons.
Là-bas, c’est le pays de l’étrange et du rêve,
C’est l’horizon perdu par delà les sommets,
C’est le bleu du paradis, c’est la lointaine grève
Où votre espoir banal n’abordera jamais.
Bon, pas besoin d’être beaucoup plus explicite, on tient là un sacré texte. Pas étonnant qu’il soit un peu devenu un hymne pour les saltimbanques… comme pour le saltimbhoucq aussi.
Du souffle, des paroles emplies de métaphores audacieuses et de trouvailles poétiques, alliées à une mélodie ô combien efficace, c’est la recette garantie d’obtenir une belle chanson dite à texte. Celles et ceux qui à la suite de Brassens, se sont approprié « Les Oiseaux de Passage » ne s’y sont d’ailleurs pas trompé(e)s, puisque les interprétations talentueuses de ce petit bijou de chanson ne manquent pas.
J’ai arbitrairement délaissé la version originale, pour en exposer une autre. Non, ce n’est pas celle de Rémo Gary qui, à l’inverse de Brassens, reprit l’intégralité de ce poème-fleuve. J’ai choisi une version plus ramassée, pleine de punch et de féminité aussi. C’est celle de la chanteuse, compositrice et comédienne Cécile Veyrat qui fait corps avec son piano, et que je vous propose de découvrir, si vous ne la connaissez déjà…
La version audio de cet « à-coup fan » est évidemment disponible sur le « pot de caste » de Radio G !. Comme je vous le conseille régulièrement, il est plus que pertinent d’écouter l’intégralité de l’émission. Vous y découvrirez assurément quelques pépites de chansons récoltées pour vos oreilles par l’ami Michel. Ça ne se refuse pas !