Mon bon Michel, tu me disais la dernière fois, que dans cette émission, nous ne passions pas assez souvent les chansons d’un certain Brel, Jacques de son prénom. Eh bien, je pense qu’il y a également quelqu’un dont nous apprécions beaucoup les textes et les mélodies, et que pourtant, nous n’invitons pas suffisamment dans Kesskevoum Chantéla ! Et comme l’homme est en plus de fort bonne compagnie, je me dis qu’il me faut réparer, avec mes modestes moyens, cette injustice radiophonique.
Aussi, suis-je allé pioché dans le répertoire de notre ami Eric Frasiak (oui, Michel, c’est lui, le gagnant du jour !) pour ce dernier à-coup fan du mois.
J’ai choisi une chanson qui va nous faire voyager jusqu’en Espagne. Je ne te cache pas que lorsque je l’ai écoutée la première fois, cette chanson m’a franchement surpris. Tout simplement parce que l’ami Eric Frasiak m’apprenait l’existence d’une pratique ancestrale autant qu’ahurissante dont j’ignorais tout.
Et même si naturellement, je ne mets aucunement en doute la parole de Frasiak, j’ai effectué quelques recherches, pour constater qu’en effet, les chasseurs ibériques n’ont rien à envier à leurs homologues cocorico en matière de comportements douteux, voire, mettent la barre très haut sur le plan de la cruauté. Il est vrai qu’au pays de la tauromachie, se délecter de la souffrance animale est inscrite dans l’ADN de la population.
De quoi est-il question ? De chasse au lapin. Mais, c’est une chasse au lapin particulière, puisqu’elle se pratique sans fusil. C’est le chien, un lévrier appelé « galgo » qui est censé débusquer et attraper le lapin à la course, et le rapporter à son maî-maître. Pour pimenter un peu l’affaire, on chasse avec deux chiens appartenant à deux propriétaires distincts. Et l’on se la rejoue façon « combat de coqs ». A savoir que le galgo qui ne chopera pas le lapin se verra condamner à subir les pires sévices jusqu’à ce que mort s’en suive. Si possible en prenant bien son temps. Au choix, pendu avec les pattes frôlant le sol, traîné derrière une voiture, brûlé vif, aspergé d’eau de Javel… L’inventivité de ces tartarins abrutis s’avère sans limite.
Normal, le maî-maître aura été déshonoré par son lévrier ! Et l’honneur, quand on est viril de la racine des cheveux jusqu’aux orteils, on ne rigole pas avec ça.
Tu vois, Michel, l’analogie avec les soi-disant crimes « d’honneur » – attention, mettre beaucoup de guillemets autour du mot « honneur » – qui s’abattent sur ces femmes au Pakistan comme ailleurs, me semble évidente. Ces jeunes femmes qui sous les prétextes les plus futiles se retrouvent vitriolées ou brûlées vives, par un membre de leur propre famille, parce que « l’honneur » de ladite famille aura été bafoué par l’attitude de la malheureuse. Sur la base, bien sûr, de critères défiant le plus élémentaire entendement.
Il ne s’agit pas pour moi, de mettre au même niveau d’égalité les horreurs que subissent ces femmes et les supplices que les chasseurs réservent à leurs lévriers malchanceux. J’aspire simplement à vilipender la connerie la plus criminelle, quel que soit le lieu où elle germe et quel que soit l’être vivant qui en est frappé.
Pour corser l’affaire, il faut savoir qu’une loi espagnole de 2017 atteste que les animaux sont « des êtres vivants doués de sensibilité ». Sauf que les galgos en sont exclus car considérés comme des outils de travail. De vulgaires objets. Il n’y a donc pas qu’en France que le lobby de la chasse a le bras long.
Voilà pour le contexte. Intéressons-nous maintenant à la chanson intitulée « Galgos » du gars Frasiak. Tu te souviens, Michel, la dernière fois, j’évoquais l’écriture cinématographique de Brel. Eh bien, Frasiak ne fait rien qu’à copier !
Ça démarre avec un plan large agrémenté de quels coups de zoom appuyés çà et là, presque des diapos, pour souligner les lieux et rituels qui incarnent l’Espagne : les jardins de l’Alhambra, les plages de la Costa Brava, les tapas, le flamenco. Et puis, à mesure que l’on opte pour une focale plus resserrée, le vernis flatteur va se diluer pour laisser apparaître l’imbécilité et son corollaire, l’horreur.
L’horreur dont est victime le protagoniste, un héros à quatre pattes. Des pattes qui tentent sans succès de retrouver le contact du sol. Sans succès, car le brave maî-maître a évidemment prévu une corde un rien trop courte pour y pendre son chien à la branche d’un olivier. Frasiak accompagne cette scène atroce de subtiles douceurs au piano. Pour en accentuer le contraste. Comme pour reléguer dans une ambiance onirique, ce qui relève du cauchemar absolu pour cette pauvre bête.
Et puisque j’évoque les arrangements de cette chanson, sachez que c’est un pur régal d’écouter ce tango délicat dédié à ces chiens suppliciés. J’ai parlé à l’instant du piano, mais il y a aussi un entêtant accordéon (sinon, il n’y aurait pas de tango, pas vrai ? !…), de jolies envolées au bugle et des cordes magnifiques. Bref, de la belle ouvrage !
Allez, avant de vous laisser écouter ce bijou de chanson, je vais conclure par une boutade un tantinet facile. Il est clair, même si cela peut apparaître évident, qu’il y a sacrément du chien dans les chansons de Frasiak…

Et la version « pour les oreilles » de cette humeur (de chien), c’est par ici. La majeure partie de l’émission était consacrée au Festival Couleurs Chanson qui se tient du 21 au 23 mars, à Mûrs Érigné, au Centre Culturel Jean Carmet. Et puis, si vous souhaitez en apprendre davantage sur les malheurs des galgos, vous pouvez trouver des compléments d’information par là.