Aujourd’hui, j’entends bien rétablir un peu de justice… au moins dans la sphère du potager. Je l’avoue très humblement ; je manque parfois d’ambition. Lectrice, lecteur, sais-tu qu’il existe un légume qui, pour des raisons obscures, est victime d’une défiance persistante, d’un discrédit tenace ? Une disgrâce totalement infondée.
Ce légume décrié par beaucoup est pourtant riche en vitamines. Notamment en vitamines E, K et B9 (porte-avions touché !). La B9 est essentielle à la femme enceinte, car elle aide à la croissance du fœtus et à la lactation. La vitamine E est un puissant antioxydant pour nos cellules, freinant ainsi leur vieillissement. Et puis, sans vitamine K, à la moindre coupure, on frise l’hémorragie. Gênant, non ? S’ajoutent à ce palmarès vitaminique, de jolis scores sur la concentration en calcium, sodium et autre potassium. Autant d’éléments indispensables au bon fonctionnement de l’organisme, que ce soit pour réguler la pression sanguine, les contractions musculaires, ou encore les sécrétions hormonales.
Ce légume vert, facilitateur de notre quotidien, est pourtant boudé, ostracisé. As-tu trouvé, lecteur, lectrice, de quel légume s’agit-il ? Non ?… L’héroïne de cette humeur n’est autre qu’un légume feuille que l’on nomme « bette », « blette », « poirée » ou encore « carde ». Elle possède en effet plusieurs pseudonymes. Ses détracteurs n’hésitent d’ailleurs pas à dire qu’elle avance masquée. Et alors ? Masquée, comme nous tous et nous toutes, depuis près de deux ans maintenant ! Je trouve l’argument bien spécieux…
Evidemment, il est facile d’associer à ce légume, le souvenir de la vieille fille aigrie du roman de Balzac, la cousine Bette. Par contre, personne n’évoque le happy end du conte de Perrault, La belle et la bette. Si ce n’est pas là de la mauvaise foi, franchement !… Le nom « bette » renvoie d’ailleurs au bestial, à l’animal. Et c’est des coups à être rejeté, même par les vegans.
La blette a-t-elle plus de succès ? Pas vraiment. Cette seconde identité rappelle bien trop la poire qui s’apprête à finir sur le compost. Le compost de poires qui est pourtant une recette emblématique du monde rural… Autre recette typique de notre Anjou : la gogue qui mêle délicatement des morceaux de blette à une base de boudin noir. Autrement dit, le cauchemar absolu de l’écolier à la cantine !… Entre nous, qu’est-ce qui n’est pas le cauchemar de l’écolier à la cantine, hormis les frites ?
On l’aura compris, pour défendre efficacement la réputation de ce légume, mieux vaut se focaliser sur sa dénomination la plus consensuelle, à savoir « la carde ». Et comme je sais que tu me laisses, lectrice, lecteur, carde blanche pour ce modeste plaidoyer, je vais rappeler quelques termes ou expressions qui montrent bien combien la carde est présente dans notre quotidien. C’est irréfutable, et je verrai mal qu’au pays de René Descardes, on en vienne à nier les évidences. N’en déplaise à celles et ceux qui restent réfractaires à la saveur subtile de cette plante potagère, dont on peut préparer différemment les tiges et les feuilles. Ou pas ! (Je fournis mes recettes sur simple demande).
Commençons par une petite note d’érotisme pour regarder les dessous des cardes, afin de dessiner ensuite la carde du tendre, pour peut-être nous voir proposer au final, une carde de fidélité. A moins que ne surgisse soudain la querelle, la dispute, qui s’en vient brouiller les cardes, et jeter à bas tout l’édifice patiemment construit qui s’effondre alors, tel un château de cardes.
Heureusement, tout ne s’achève pas toujours de manière aussi dramatique. Parfois, un simple tour de cardes ou un renouvellement de notre carde-robe permet de renouer le contact. Ne demeure alors que le souvenir de cette chamaillerie, comme une mise en carde pour le futur. Même s’il est illusoire d’imaginer que l’on puisse un jour avoir toutes les cardes en main.
Les soubresauts de l’amour, c’est bien joli, mais il ne faut pas oublier non plus l’activité professionnelle. Quels beaux métiers nous offre la carde ! Voyez plutôt. Si vous vivez à la campagne, vous pouvez viser un emploi de carde-champêtre. Jadis, vous pouviez être également carde-barrière. Si votre tasse de thé, c’est le prestige de l’uniforme, n’hésitez pas à postuler pour entrer dans les Cardes Républicaines. Vous pourrez alors vous rigidifier au carde à vous et sans bouger d’un cil, monter la carde. Et puis, si vous avez le cœur sur la main, rien ne vous interdit de devenir cardologue.
Si par contre, vous avez la bougeotte et le sens du commerce, devenez donc représentant multicardes. Mais si vous vous adonnez au porte à porte, méfiez-vous des chiens de carde ! Un conseil, pensez à prévenir vos clients en leur envoyant au préalable, votre carde de visite. Ou même une simple carde postale.
A l’heure du repas, puisque vos frais sont remboursés, vous aurez le choix entre opter pour le menu ou manger à la carde. Attention toutefois à ne pas forcer sur la chopine, pour vous retrouver in fine en carde à vue. Et peut-être même sous la surveillance d’un carde-frontière qui vous aura confisqué jusqu’à votre carde d’identité ou votre carde de séjour. En un mot, prenez carde à ne pas faire n’importe quoi !
A travers le rappel de ces aspects du quotidien, j’espère bien vous avoir incité(e)s à (re)découvrir ce légume plein de vertus, qui est un peu en voie de disparition dans les cuisines. Vous me direz, la voie de la disparition, ça concerne aussi les ours polaires et les orangs outangs, et on ne s’en soucie pas plus que ça.
Eh bien, justement, à notre modeste échelle angevine, faisons un geste symbolique fort. Rebaptisons une commune des Mauges pour envoyer un signal fort à tous les opposants que connaît la carde. Que le point culminant du Maine-et-Loire s’appelle donc désormais St Georges des Cardes ! Monsieur ou Madame le Maire, si vous lisez ces lignes, je compte sur vous. Il y a juste une pauvre consonne à modifier…
Un petit geste, mais qui sera perçu comme un acte fort en faveur de ce légume d’une remarquable vigueur. Car comme chacun le sait depuis Waterloo, la carde meurt mais ne se rend pas ! Bien le bonsoir, et que Dieu vous carde !
Merci à José, le diététicien maison à Radio G ! de m’avoir fourni de précieuses données sur les propriétés de la carde.
La version audio de ce texte est écoutable via le pot de caste de Radio G.
Comme disait Bette Davis lors d’une scène coupée depuis au montage et l’on comprend pourquoi :
« cardes, libérez-moi, je ne suis pas blette, je ne suis qu’une poirée sauvage ! «
Elle fût néanmoins moins bette et moins perplexe que moi lorsque j’en recus une pleine brassée dans mon panier de l’Amap. Que faire de cette chose…? Finalement, par la magie du Grand Web, sur lequel on trouve tout (mais aussi n’importe quoi), la bette et moi avons pu nous apprivoiser. Merci pour ce bel hommage et surtout, en toute occasion : carde diem…