Bon, vous connaissez dorénavant le principe. Ci-dessous, vous avez le texte de ma chronique mâtinée de chanson française, et à la toute fin, un lien pour accéder à sa version audio (c’est souvent plus drôle à écouter qu’à lire, mais vous avez toute latitude !), et bien sûr à l’intégralité de l’émission de Michel Boutet, joliment intitulée « Qu’est-ce que vous me chantez là ?! ». Allez, c’est parti :
Auditrice, auditeur, il était prévu de te proposer cette modeste chronique le mois dernier, mais les facéties de la fée Électricité en avaient alors décidé autrement. Qu’importe, je te l’ai gardée au chaud. Et les « à-coups fan » de Tonton Albert, c’est un peu comme les plats mijotés ; plus ça réchauffe, meilleur c’est !
Toi qui m’écoute, je t’offre aujourd’hui, du brut. Ça ne fait pas dans la dentelle, le message est direct, et pourtant… Pourtant, on sent poindre dans cette chanson comme un questionnement profond, une plainte lancinante autour de la condition d’artiste. Un artiste qui, tout au fond de lui, ignore s’il est parfaitement raccord avec son public. Un artiste qui se demande aussi si la notion de public n’est pas que vanité et autre « poudre aux yeux », et que peut-être, il faut chercher la reconnaissance ailleurs … Quitte à perdre un peu de son âme dans cette quête consistant à troquer la complicité avec le public, pour les honneurs de la critique spécialisée. Oui, il y a quelque chose de faustien dans les tourments de cet artiste qui se cherche…Ah quel cruel dilemme !… Abandonner ce que l’on a toujours été, pour endosser ce costume qui vous serre sous les bras, mais qui vous promet de faire un jour – qui sait ? – la une de « Elitisme- Magazine »… Non, Michel, je n’ai pas dit « Ethylisme-Magazine » ! Voyons !… Enfin !…
Reprenons. Le regretté François Béranger se moquait sans fard des chansonnettes ne présentant d’autre intérêt que celui de rompre la monotonie des publicités diffusées à la radio. Il avait fait le tour de la question avec son titre « Chansons marrantes ». Béranger y regrettait de ne pas parvenir à faire de la variétoche autant sirupeuse qu’insipide. En gros de la soupe. Une soupe qui toutefois présentait le gros avantage d’inviter ses auteurs sur tous les plateaux de télévision. Et comme Béranger n’avait rien à dire de marrant, eh bien, sa silhouette et ses chansons vachardes n’encombraient guère le petit écran.
Yvon Etienne – car il s’agit d’Yvon Etienne aujourd’hui dans ce nouvel « à-coup fan » – a creusé, si j’ose dire, un peu le même sillon (n’oublie pas, Michel, qu’à cette époque lointaine dont je te parle, le CD n’a pas encore détrôné le vinyle !), le même sillon donc, mais sur un versant parallèle. Si Béranger, dans « Chansons marrantes », fustige la niaiserie, Yvon Etienne avec « J’veux être un chanteur culturel » s’attaque au pendant pédant de la daube, à savoir la chanson absconse. Celle qui vous laisse dubitatif et vous fait saisir que cette « œuvre » hermétique que vous venez d’entendre, n’a pas été créée pour vous. Au moins, l’objet entré par effraction dans vos oreilles vous permet de comprendre ça. Pas facile n’est-ce pas, de trouver un équilibre entre d’une part, une culture au ras des pâquerettes, et d’autre part, celle qui gravite dans la stratosphère, la rendant totalement inaccessible à une majorité de la population !?…
Le premier couplet de « J’veux être un chanteur culturel » démarre plan-plan, mais le refrain envoie du lourd :
J’veux être un chanteur culturel
Pour que vous ne compreniez rien
A mon délire intellectuel
Auquel moi-même je n’comprends rien
Un refrain qui d’ailleurs prend un sacré essor grâce aux chœurs qui l’amplifient et amènent le plus déprimé des auditeurs à esquisser un franc sourire. Il faut dire que les chœurs, Yvon Etienne connait, puisqu’il a fait partie de cette bande de joyeux drilles brestois appelés « Les Goristes ». Oui, à mi-chemin entre les « gorilles » et les « choristes ». Tout un programme !
Après ce refrain tout en puissance et en dérision, l’on savoure le couplet suivant qui nous livre les stéréotypes sur la Culture que l’on attendait. Ainsi, Yvon Etienne prend-t-il un malin plaisir à nous souligner que la Culture n’a pas de bedaine », avant de nous offrir une nouvelle louche de refrain légèrement remanié. Une envolée lyrique qui culmine avec ce cri d’anthologie : J’veux être chiant et subventionné ! ».
Il est souvent pertinent de replacer une chanson dans le contexte de son époque. Dans le cas présent, nous sommes en 1981. Voilà qui ne nous rajeunit pas, Michel.
1981, c’est l’arrivée de la Gôche au pouvoir. Le premier septennat de François Mitterrand, mais surtout le début des « Années Lang ». Autrement dit, une petite révolution dans le monde de la Culture. Fête de la Musique, Fête du Cinéma, un budget moins ridicule qu’auparavant générant des aides importantes de l’Etat en faveur de la création culturelle, de nouvelles têtes à la télé après un long, très long temps passé au Guyluxland et au Zitronistan. Bref, ça bouge avec Jack ! Cependant, à mesure qu’apparaissent les tout premiers exilés fiscaux et que ma vieille cousine Edmonde craint que les Bolcheviques ne nationalisent sa basse-cour, des talents autoproclamés proches du nouveau pouvoir émergent également. Et il n’est pas impossible que le gars Yvon Etienne ait songé à ces inventeurs de la « Bobo-Culture » pour brosser le portrait de son chanteur culturel.
En quelque sorte, si la Culture en général, et la chanson en particulier, se doivent de tirer la population vers le haut, elles doivent simultanément se garder d’être rébarbatives. Un équilibre doit donc être trouvé, pour attirer le plus grand nombre sur des chemins ignorés, mais qui apporteront le plaisir de la connaissance et de la réflexion.
Allez, c’est jour de générosité, cette chanson d’Yvon Etienne, mon cher Michel, je nous la dédie, à toi, à moi, mais aussi à toutes celles et ceux qui se posent de vagues questions existentielles lorsqu’ils/elles montent sur une scène pour y chanter ou raconter leurs petites histoires. Avec chevillé au corps cet espoir qu’à la fin du spectacle, il y aura des gens du public qui viendront discuter pour faire part de leurs impressions à chaud.
Allez, c’est parti ! On écoute Yvon. En plus d’écouter Yvon Etienne, je vous suggère d’écouter aussi ce qui suit ; vous y découvrirez de bien beaux hommages au chanteur et poète Jean-Louis Bergère disparu au printemps 2021.