Pour 50 balles, tu n’as plus rien !

Non, je n’ai pas commencé à faire mes achats de Noël. D’ailleurs, tu n’ignores pas, lecteur, lectrice, que je suis davantage apparenté « Père Fouettard » que « Père Noël ». J’ai bien dit « Père Fouettard », et non pas « Père Fêtard » comme d’aucun(e)s ne manquent pas de le laisser entendre. Passons… Mais si je ne m’attarde guère sur cette période propice aux combustions de cartes bleues, je ne manque pas d’observer avec attention les trouvailles que produit sans cesse le marketing. Comme cet inénarrable Black Friday.

Cette opération commerciale se prolonge désormais sur une bonne semaine, voire davantage. Bref, il n’y a pas que dans le foot qu’il est question de prolongations… Parallèlement, les marchés de Noël, quant à eux, sont programmés de plus en plus tôt dans l’année (il n’y a plus de saison !), parce qu’il faut être le premier à vendre ses babioles made in China, sinon c’est le marché de la ville d’à côté qui le fera à votre place et vous piquera… des parts de marché.

Bientôt, les marchés de Noël démarreront au 14 juillet, histoire d’être certain, pour leur organisateur, de rafler la mise. Pourtant, le terme « Black Friday » m’amuse.

– Et pourquoi donc ? » t’interroges-tu, lectrice, lecteur.

Tout simplement parce que cette frénésie d’emplettes, cette ode à la carte bancaire à débit différé, cette fièvre acheteuse contre laquelle il n’existe aucun vaccin, m’évoque irrésistiblement le fameux « jeudi noir ». Ce jeudi 24 octobre 1929 (je sais, tu n’étais pas né(e), lectrice, lecteur… et moi non plus ! (si, si, je le jure !)) qui vit l’effondrement de la Bourse de New York, et, par la suite, celui des autres places boursières mondiales, avec à la clef, la grande crise économique qui se solda (si je puis utiliser le terme de « solde » !), par la Seconde Guerre Mondiale. En somme, les rois du marketing ne manquent pas d’humour, quand ils mettent en place un nouveau concept destiné à gonfler artificiellement le PIB et à produire des centaines de tonnes de déchets supplémentaires. Mais il y a une autre corporation qui ne manque pas non plus d’humour, lorsqu’elle s’y met…

Et cette corporation remplie d’humour, n’est autre que celle des médecins généralistes. Je ne sais pas si c’est le souvenir du fameux « quoi qu’il en coûte » de la saison 1 du Covid, ou bien la venue imminente de Papa Noël dans nos foyers, en tout cas, les médecins n’y vont pas avec le dos de la cuillère. Les carabins ont sorti leurs carabines pour flinguer ce qui subsiste encore de Sécurité Sociale. Ils réclament une revalorisation substantielle de leurs honoraires, exigeant que la consultation soit portée à 50 € au lieu de 25 actuellement. Autrement dit, un doublement de leurs revenus, rien de moins. Comme le disait feu-l’ancien président Jacques Chirac… Plus c’est gros, et mieux ça passe !

Oui, je connais mes classiques… Pourtant, 100 % d’augmentation, ça fait « petits joueurs » comparé à l’augmentation de 172 % que s’était octroyée (on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même !), en 2007, Nicolas Sarkozy en entrant à l’Elysée. Allez, les acharné(e)s du stéthoscope, un peu d’audace que diable ! Inspirez-vous de ce « précédent de la République ». Vous n’allez pas vous satisfaire d’une vague exigence de prolétaire, et au final, juste récolter des tickets restaurant. Non, croyez-moi, il faut vous montrer fermes ! Sinon, comment allez-vous vous l’offrir ce chalet de vos rêves, en copropriété à Megève ? Pardon ?… Vous auriez préféré Courchevel ? Mais, « Courche » avec juste vos 50 balles, n’y songez même pas !…

Et votre joli voilier, hein ? C’est avec 50 misérables euros la consultation que vous pourrez le remiser dans le port de St Trop ? Désolé, mais avec si peu d’ambition, il faudra vous contenter de le laisser à La Rochelle ! Ah, l’apéro sur le pont n’aura pas la même saveur !…

En attendant de fêter l’alignement de leurs honoraires sur les primes de match des footeux de l’Equipe de France (Assurément, il y a encore pas mal de marge pour y parvenir !), nos braves docteurs font grève, et par la voix de l’un de leurs porte-parole, enfoncent le clou :

 « il faut un choc tarifaire massif si on ne veut pas que notre système de soins s’effondre ».

Je pense que tu comprends mieux, lectrice, lecteur, pourquoi je disais que les généralistes étaient pleins d’humour. Doubler les honoraires des médecins pour sauver le système de soins, par St Paradoxe, il fallait y songer…

Le surplus à provisionner avec une consultation à 50 € a bien sûr été chiffré. Il représente… une misère !… 7 milliards d’euros. Je sais, ça peut paraître un peu élevé pour prescrire des antibiotiques et établir des certificats d’aptitude destinés aux sportifs amateurs. D’autant que chaque généraliste reçoit en moyenne 25.000 euros par an à titre forfaitaire de la part de l’Etat. C’est un peu leur 13ème mois. En intégrant cette modeste prime, l’Assurance Maladie rectifie ce qui revient réellement au médecin : Les vrais honoraires par consultation atteignent en fait 35 euros, et non plus seulement 25. Dans ces conditions, on ne sera guère surpris d’apprendre que les revenus d’un généraliste s’élèvent en moyenne à 90 000 euros nets par an, et cela peut grimper à 520 000 pour certains spécialistes. C’est sans doute pour cette raison que l’on croise finalement peu de médecins venant faire leurs courses aux Restos du Cœur… Non, même pas des cardiologues !

Il y a aussi parfois quelques menues aubaines que les généralistes savent saisir. Comme les vaccinations contre le Covid, dans les fameux vaccinodromes. La demi-journée de présence au vaccinodrome était créditée de 420 €, au médecin. Cerise sur la seringue, ce n’était pas le médecin signant le certificat qui vaccinait. Ce fut en tout cas ce que j’observai quand je m’y rendis. 420 € la demi-journée pour établir des faux en écriture, pas mal, non ?

Et puis, nos généralistes frondeurs s’opposent également à cette idée qui voudrait que la quatrième année d’internat s’effectue désormais dans les déserts médicaux. Non mais, vous n’y pensez pas ! C’est tout de même plus simple de renvoyer le patient vers les urgences, dont la saturation n’est pourtant plus à démontrer. Entre nous, la qualité première du patient n’est-elle pas précisément… la patience ?…

Ces dernières années, 31% des Français ont renoncé à aller voir un médecin alors qu’ils en avaient besoin. Une majorité d’entre eux pour des raisons financières. A 50 € la consultation, le pourcentage devrait logiquement continuer à croître. La bonne nouvelle, c’est que les gueux n’encombreront plus guère les salles d’attente de nos joyeux philanthropes.

Personne n’est obligé de faire médecine. Mais tout médecin formé par l’Université devrait avoir à l’esprit que le pays a investi en lui, avec cette formation, pour qu’il soigne des gens, et non pas uniquement, pour qu’il se remplisse les poches. Il s’agit d’une contrepartie. Comme l’enseignant(e) qui est chargé(e) de transmettre des connaissances à nos chers têtes blondes – ou à nos petits monstres, c’est selon ! – le médecin a une mission au sein de la société. Et que je sache, les enseignant(e)s vont rarement enseigner sur le littoral, dans un quartier huppé lors de leurs premières affectations. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour les médecins généralistes ?

En attendant cette improbable prise de conscience citoyenne, je suggère, si le prix de la consultation est revalorisé dans les proportions demandées, de remplacer le Serment d’Hippocrate par un serment des hypocrites.

                                                                                                                                           

Bon, vous commencez à connaître les deux options. En plus de cette version « à lire », il existe une version « pour les oreilles » de ce billet humeur. En gros, c’est « ophtalmo versus audio-prothésiste ». C’est bien sûr sur le pot de caste de Radio G !. Cela démarre à 6’05 », mais comme d’habitude, il est conseillé d’écouter l’émission de l’ami Pierre-Benoît dans son intégralité.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *