La petite phrase

Pour ma première bouteille aux trois-quarts vide de l’année, je suis venu à l’antenne de Radio G ! avec une petite phrase sous le bras… Non seulement avec une petite phrase, mais aussi avec un jeu. Oui, ami lecteur, amie lectrice, quelque chose me dit que 2023 sera ludique ou ne sera pas. Et donc, rien de tel que ce jeu de la petite phrase pour bien démarrer l’année dans la joie et la bonne humeur. Attention, dans l’esprit « bouteille aux trois-quarts vide » quand même !…

C’est-à-dire que ce n’est pas vraiment drôle, le jeu de ta petite phrase, hein, Tonton ?… » te dis-tu, lectrice, lecteur.

Je te répondrai que la drôlerie reste une notion toute relative, et que ce que d’aucun(e)s peuvent trouver drôle ne l’est pas nécessairement pour d’autres. Le bon exemple, c’est la chute du quidam consécutive à son dérapage piétonnier sur une peau de banane. Ledit quidam perçoit en général sa situation comme étant très modérément drôle, alors que toute la rue se tape sur les cuisses en l’ayant vu tomber, le quidam. Mais trêve de digression, venons-en au jeu. Je vais prononcer une courte phrase et tu vas me dire qui en est l’auteur. C’est assez facile. Tu es prêt(e) ?

Allez, c’est parti : Qui aurait pu prédire la crise climatique aux effets spectaculaires, encore cet été dans notre pays ?

Tu avoueras que la question méritait d’être posée. La crise climatique est en effet une nouveauté dont l’apparition ne remonte qu’à 1990, date du premier rapport du GIEC. Un rapport qui déjà était sacrément inquiétant. En 2022, nous en étions, tout de même, à la publication du sixième rapport…Un rapport qui n’incite pas à danser la gigue.

Mais je vois que tu cherches sans avoir apparemment l’ombre d’une piste. Allez, je t’aide : il ne s’agit pas d’un ermite coupé du monde et vivant reclus dans une grotte. Il ne s’agit pas non plus d’un(e) disciple de Claude Allègre, qui aurait soudain remarqué que le déni n’est d’aucune utilité devant un péril imminent. Alors ?…

Que me murmures-tu ? Tu penses que l’auteur est… Emmanuel Macron. Eh bien, bravo ! C’est effectivement notre bon président qui a prononcé cette phrase pour le moins inattendue. Euh, c’est par déduction que tu as trouvé, ou bien ?…

Non, tu t’es souvenu(e) de cette phrase qu’il a dite durant sa présentation des vœux aux Français. Et là, chapeau ! Je suis heureux de voir qu’il existe au moins de braves citoyen(ne)s qui, le soir du 31 décembre, préfèrent écouter le Président de la République plutôt que d’ouvrir leurs huîtres ou tartiner leur foie gras. Voilà qui appelle le respect. Bon, maintenant que je sais, lectrice, lecteur, que tu es un(e) inconditionnel(le) de la pensée présidentielle, arrêtons-nous quelques instants sur la traduction de cette pensée profonde qui a minima, suscite quelques interrogations. J’ai en effet quelque peine à imaginer que la révélation du bouleversement climatique en cours soit subitement tombée sur les épaules jupitériennes comme jadis l’illumination avait dégringolé sur le Bouddha qui faisait sa sieste, pépère, sous son arbre Bô. Je sais qu’il existe de belles légendes urbaines, mais tout de même !…

Et si l’on réfute cette hypothèse, l’on se dit : saperlipopette (celles et ceux qui ont des lacunes en « Tintin & Milou » diront autre chose), comment se fait-il que cette petite phrase ait pu passer les différents barrages des communicants chargés de veiller à la cohérence du discours présidentiel ? Il n’y a-t-il donc personne qui lise les journaux à l’Elysée ?

L’élévation de la température planétaire moyenne contenue sous la barre des deux degrés maxi, comme le stipule l’Accord de Paris, quelqu’un en a-t-il seulement entendu parler ? Le GIEC représente-t-il une référence en matière de suivi du climat mondial, ou bien n’est-il qu’un vague organisme dont les rapports font juste très jolis, une fois rangés dans les placards ? Pourtant le Gouvernement a dans ses rangs un Ministre de la Transition Écologique. Un tel titre n’est tout de même pas qu’honorifique. Une telle fonction est censée faire prendre conscience qu’il y a urgence à se déménager les pattes de dessous le ventre. Sinon, pourquoi parler d’une nécessaire « transition écologique » ?

Et là, malgré toutes ces données, toutes ces structures mises en œuvre pour éviter de voir se rompre le fil de l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de nos têtes, rien. Nada. Nothing. Il a fallu attendre l’été dernier pour que le réchauffement climatique s’invite dans nos chaumières. Il n’y a eu aucun signe avant-coureur auparavant. Pas de canicules, pas de pluies torrentielles, pas de végétation devenue folle pour cause de degrés Celsius distribués comme des bonbons par Papa Noël, pas d’espèces invasives d’origine tropicale s’installant durablement dans nos contrées… Et donc, cet été :

Surprise ! c’est le dérèglement climatique qui vous rend visite. »

A l’image des pompiers ou des éboueurs venus refourguer leurs calendriers.

Chaque mot étant important et sûrement pas choisi au hasard dans un discours présidentiel, j’ai noté le terme « prédire » employé par Emmanuel Macron. Et j’ai pensé que là résidait l’explication de cette apparente incongruité. Je me tourne par conséquent vers toi, ami lecteur, amie lectrice. Selon toi, qui sont les gens dont le job consiste à annoncer l’avenir ?

Et tu me réponds fort logiquement : Les oracles, les cartomanciennes, les voyantes… »

Tout juste !… Et avec quoi « travaillent-ils » ces gens-là ? Quand ce n’est pas au doigt mouillé – comme pas mal d’économistes d’ailleurs – ils ne se séparent que rarement de leur boule de cristal. Et tu vois, je suis de plus en plus convaincu qu’il y a une réelle pénurie de boules de cristal dans le pays. Vraisemblablement, l’Elysée a fait les frais de cette raréfaction du produit, et il en a résulté cet aveu d’impuissance. En l’absence du matériel idoine, il a été impossible au staff élyséen d’anticiper l’arrivée du bouleversement climatique. D’où cette cuisante désillusion du 31 décembre.

Je ne t’apprendrai rien, toi qui me lis et/ou m’écoutes, en t’indiquant que les boules de cristal sont bien sûr fabriquées en Ukraine – comme tout ce qui manque en France depuis février dernier. Ce n’est évidemment pas une bonne nouvelle. Tant que nous n’aurons pas relocalisé en « terre cocorico » la fabrication – et sans doute la maintenance – des boules de cristal, il y aura fort à parier que des pans entiers de notre avenir échapperont à celles et ceux qui président aux destinées du pays.

Le climat, ça peut encore attendre (entre nous, il a l’habitude), mais les boules de cristal, ça, c’est vraiment urgent !…

La version « pour les oreilles de cette humeur » est bien sûr disponible via le « pot de caste » de Radio G !. Cela démarre à 4’50 », mais je vous conseille d’écouter l’intégralité de l’émission, consacrée cette fois-ci au prochain Festival Premiers Plans. LE festival qui met à l’honneur les jeunes créateurs/trices européen(ne)s qui sont les cinéastes de demain.

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