Les joies de la modernité

Aujourd’hui, mes ami(e)s, je vais vous parler de modernité. J’espère que vous appréciez d’ailleurs ma prouesse, étant donné que l’on me range plutôt dans la catégorie des dinosaures que dans celle des « toujours à la page ». On va dire que je possède ainsi le recul nécessaire vis-à-vis de ladite modernité. Je n’ai pas le nez dans le guidon… Certes, c’est une légitimité quelque peu capilotractée, mais pourquoi pas ! Car même si je ne suis guère assimilable à un fan de modernité, j’en subis cependant les effets au quotidien. Je m’estime par conséquent apte à en parler.

Commençons par une institution qui est une mine inépuisable de modernité, j’ai nommé la SNCF. Jeune fougueux que tu es, ami lecteur tu ne t’es certainement pas appesanti sur le fait qu’il est devenu souvent compliqué – sinon impossible – d’obtenir un billet de train dans bon nombre de gares. Ce qui ne constitue pas le moindre des paradoxes. Plus un seul humain pour vous délivrer un ticket (ça, on s’y était habitué…), mais pas de distributeur automatique, non plus !

Tu vas évidemment me rétorquer :

Ben, Tonton, ton billet de train, tu l’obtiens avec ton smartphone !…

Ah, ça, je l’attendais ! Une remarque pleine de bon sens ! Autrement dit, pour voyager par le train, je dois OBLIGATOIREMENT posséder un smartphone… pour permettre à la SNCF d’économiser sur les distributeurs. Bel exemple de transfert de charges qui visiblement, n’offusque pas grand monde. Tu t’empresses d’ailleurs, amie lectrice, de surenchérir :

– Normal, tout le monde a un smartphone aujourd’hui !

Eh bien non, pas tout le monde justement. Les statistiques de l’INSEE indiquent que si effectivement, 95 % des Français de plus de 15 ans possèdent un téléphone mobile, ils ne sont que 77 % à avoir un smartphone. En d’autres termes, il y a tout de même un gros quart de la population – en intégrant les 5 % n’ayant pas du tout de téléphone portable – qui n’est pas en mesure d’acheter son titre de transport, avant de prendre le train…

Ce qui n’empêche pas la SNCF d’imposer à tout voyageur d’être muni d’un titre de transport, sous peine d’amende dans le cas contraire… en passant évidemment sous silence, les légères contraintes soulignées précédemment. De là à dire que la SNCF « fabrique » du fraudeur avec sa politique de suppression des distributeurs de titres de transport, il n’y a pas loin. Au passage, je serais bien tenté de demander aux fins stratèges commerciaux de la SNCF de m’exhiber le texte de loi obligeant à disposer d’un smartphone avant de monter dans un train.

A grands renforts de trémolos dans la voix, nos décideurs politiques ne cessent de prôner de lutter contre l’exclusion. Et dans les faits – les faits têtus du quotidien – on voit bien que ladite exclusion suit bel et bien, elle, … son petit train-train.

Un autre exemple de modernité ? Allez, c’est parti. Cette fois, intéressons-nous à l’un des piliers majeurs de la modernité, à savoir la communication. J’ai choisi ce formidable outil de communication… (ah tiens, c’est amusant, j’avais d’abord écrit « propagande » sur mon papier !)… Outil de communication donc, au service des élus et qui arrive dans nos boîtes aux lettres sous la forme de bulletin. Municipal, départemental, régional, on n’a que l’embarras du choix. Nos ami(e)s de l’excellent journal La Topette ont d’ailleurs consacré, dans l’un de leurs derniers numéros, un passionnant dossier sur le contenu et le coût de ces publications tout à la gloire de nos représentants. Le terme « représentant » ici n’est pas anodin, puisqu’il renvoyait dans des temps anciens, à ces types qui faisaient du porte-à-porte, pour vendre les trucs les plus improbables… Aujourd’hui, ces représentants des temps modernes nous vendent de l’abstrait. Du concept plutôt que du concret. Du vent, aussi…

J’ai choisi le bulletin municipal de Brissac Loire Aubance. En première page de son édition d’automne, un plan large sur un champ montrant une abondance de courges à l’infini avec la mention suivante accompagnant la photo :

Dossier spécial Cuisine centrale, cuisine locale.

Je pense que le communicant de service doit être très fier de la richesse de sa rime. En revanche, je ne suis pas du tout convaincu par cette une du bulletin municipal. Et ceci en raison d’un tout petit détail. Comme chacun(e) le sait, le diable se cache toujours dans les détails. Et là, pas de chance, pour promouvoir cette fameuse « cuisine centrale, cuisine locale », l’illustration retenue met en scène des courges certes magnifiques  – mangez des courges ! – mais qui présentent l’inconvénient majeur de ne pas être comestibles. Ce sont des courges de décoration, idéales pour Halloween, mais pas du tout recommandées pour un potage. A moins que vous ne vouliez vous débarrasser de vos invités !

A n’en point douter, le communicant de service a dû trouver la photo jolie et s’est empressé de l’utiliser, sans se soucier de l’aspect antinomique de son association avec le dossier spécial du moment. Selon mon humble avis, cette bévue illustre à merveille cette « culture de l’approximatif » qui prévaut dans notre belle modernité. La précision, l’exactitude, ne sont plus du tout au goût du jour, et on leur préfère l’à peu près, le vaguement reconnaissable qui parle à tout le monde. En un mot, l’on communique, mais l’on n’informe pas, voire l’on désinforme !

Les ministres de l’éducation auront alors beau jeu de déplorer que le niveau baisse, eux qui s’entourent chacun(e) sans exception, d’un aéropage de communicants probablement aussi compétents que ceux de Brissac Loire Aubance.

Vérifier ce que l’on avance prend du temps. Et du temps, ben, on n’en a pas des masses, surtout quand on le passe à pianoter sur son smartphone…

Une petite version pour les oreilles ? Rien de plus facile. Direction le « pot de caste » de Radio G ! Cela démarre à 5’21.

                                                                                       

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