Aujourd’hui, Michel, je te propose du réchauffé. J’avais prévu cet à-coup fan pour l’émission d’il y a deux semaines, et les facéties de la SNCF – comme tu le sais – en ont décidé autrement.
Pour certains plats, plus on les réchauffe, meilleur est leur goût. Toutefois, je ne suis pas certain que la maxime s’applique à mes chroniques radiophoniques. Aussi, mon bon Michel, je me dépêche de te le livrer cet à-coup fan, de crainte qu’il ne passe du réchauffé au franchement brûlé. Bien attaché au fond de la casserole.
L’idée m’en est venue au Festival Couleurs Chanson de Mûrs Érigné qui cette année, était dédié à Jean-Louis Bergère. Jean-Louis Bergère qui nous a laissés un triste jour d’avril 2021, pour s’en aller chanter au paradis. J’espère qu’il y fait salle comble, tant il est vrai qu’il le mérite.
Aussi, je me suis dit qu’il n’y avait pas de raison que je ne rende pas hommage, au travers de l’une de mes humbles chroniques, au chanteur-poète angevin. Nous nous étions croisés quelquefois. Lors de ses concerts bien sûr, et chez des amis communs, comme chez un certain Michel Boutet. Nous échangions les traits d’humour comme d’autres échangent leurs cartes de visite. Et puis, nous avions un sacré point en commun, puisque sur scène, nous étions tous deux accompagnés par le même guitariste. Le discret autant que talentueux Blaise Desol. Difficile de ne pas devenir musicien avec un patronyme pareil, pas vrai ?
Mais venons-en à la chanson du jour, piochée dans « Ce qui demeure », l’ultime album de Jean-Louis. Un titre quelque peu prémonitoire, hélas… Parmi les douze chansons de l’album, j’ai choisi de mettre en exergue, celle intitulée « Tout le poids ». Pour diverses raisons, en particulier par le choix du temps employé. Le futur antérieur. Un choix peu commun, car généralement, les chansons se conjuguent au présent ou à l’imparfait. C’est souvent imparfait, une chanson, n’est-ce pas, Michel ? En tout cas, je ne pense pas m’avancer beaucoup en disant que le futur antérieur n’a guère droit de cité (ou même d’être cité) dans les chansons.
Petit rappel grammatical : le futur antérieur indique qu’une action sera achevée avant qu’une autre action n’ait lieu, toutes deux se situant dans le futur.
Exemple : Quand tu seras arrivé à la gare, tu apprendras que ton train est annulé et tu seras chocolat pour venir à Radio G.
C’est pourquoi l’on désigne ce temps de l’indicatif comme le passé du futur.
Mais notre ami Jean-Louis, pour qui les ficelles de la poésie n’avaient aucun secret, fait dans la subtilité avec son futur antérieur de derrière les fagots. Dans l’exemple – un tantinet personnel, je le concède, que je viens de vous livrer – une autre action est sous-jacente par rapport à celle qui est terminée. Jean-Louis Bergère l’emploie seul, son futur antérieur, tout nu, ou brut de pomme. C’est comme vous voulez. Pas d’autre action en attente de l’achèvement de la première.
Il égrène tout un florilège de tâches qu’il aura accomplies tout au cours de sa vie. Un véritable inventaire à la Prévert, débordant comme toujours d’envolées poétiques et de références culturelles.
J’aurai recherché la lumière
Oui j’aurai repoussé l’obscur
J’aurai bâti pierre après pierre
Autour d’un invisible mur
J’aurai marqué mon territoire
J’aurai traversé le miroir
Oui, la petite Alice de Lewis Carroll n’est pas bien loin. Et à chaque conclusion de couplet, arrive ce « Tout le poids de mon corps » qui irrésistiblement m’évoque cette parole d’un poilu au Chemin des Dames en 1917 : Je n’ai pu leur reprendre que la longueur de mon corps. Oui, les soldats qui tombaient n’avançaient jamais bien loin sous la mitraille…
Finalement, Jean-Louis Bergère habille son énumération d’une ellipse. S’il ne nous dit pas explicitement ce qui se passera quand il aura achevé tout son parcours, nous pouvons le deviner en filigrane. A l’heure de ta mort, tu auras réalisé tout cela. Et bien plus encore.
Et puis, comme il n’était pas avare de références (je l’ai dit précédemment), Jean-Louis glisse à la fin de son magnifique poème chanté, une lueur d’espoir. En réunissant les deux compères, Eros et Thanatos.
J’aurai pris tes jambes à mon cou
J’aurai bu mordu dans la chair
J’aurai versé en toi
Cet antidote de la mort
Et j’aurai senti là venir sur moi
Tout le poids de ton corps
Cet antidote de la mort. Belle manière de désigner ce que, au mieux, l’on appelle « la petite graine ». Jean-Louis Bergère ou le talent. Simple et efficace.
On écoute maintenant notre ami Jean-Louis. Et pour cela, rien de mieux que la version audible de cette chronique. En plus, il n’y a pas que la belle chanson de Jean-Louis Bergère à vous loger entre les oreilles. Michel Boutet vous a en effet préparé un joli programme. Le plein de chansons souvent très connues interprétées par d’autres que leur auteur initial. Vous m’en direz des nouvelles !