En quête d’identité et autres étrangetés

Dis-moi, Tonton, qu’y a-t-il dans ta chronique, aujourd’hui ?

Pas mal d’interrogations, mon cher Kevin. De menus détails qui invitent à se poser des questions.

Comme quoi, par exemple ?

Comme cette petite dame que j’ai aperçue, hier, à un arrêt de bus, et qui, avec application, tricotait ce qui deviendrait prochainement un pullover…

Oui, et alors ?

Euh, tu te souviens de la température qui régnait, hier, en fin d’après-midi à Angers ? La même qu’aujourd’hui d’ailleurs. Au bas mot, plus de 30 degrés Celsius… Tu trouves normal, toi, de tricoter un gros pull, quand on sue à grosses gouttes, sans faire le moindre effort ? Bon, d’accord, la petite dame était manifestement d’un âge respectable, et les plus anciens parmi nos contemporains sont toujours les plus frileux, mais a minima, cela surprend…

Après tout, peut-être qu’elle anticipait, ta petite dame ? Elle redoute un hiver rigoureux, et elle prend de l’avance pour ne pas se retrouver démunie quand la bise sera venue…

Mmmouais, l’expérience des aînés en quelque sorte… Du style : Après la canicule, viennent les frimas. Admettons… Je serai toutefois un peu moins enclin que toi à l’optimisme…

On ne se refait pas, pas vrai, Tonton ?…

C’est malin !… Je disais donc que je verrais plutôt dans cette scène en apparence anodine, comme la preuve que les climato-sceptiques n’ont pas baissé la garde, bien au contraire, et qu’ils n’hésitent pas à occuper l’espace public pour saboter les propos du GIEC, en allumant des contre-feux. Bien que parfaitement silencieuse, cette petite dame – que j’ai rapidement identifiée comme étant une groupie de Claude Allègre – menait sa propagande. A sa façon, et forte de l’apparente expérience conférée par son âge, elle ne suggérait pas autre chose que :

Tatarata, le réchauffement climatique, c’est de la vaste blague. Voyez d’ailleurs, moi qui ne suis pas une perdrix de l’année, je ne me laisse pas berner, et je sais bien qu’il va falloir rallumer le chauffage dès la semaine prochaine, car c’est une glaciation qui s’amorce, etc, etc…

– Euh, Tonton, tu ne crois pas que tu en fais un peu beaucoup, à partir de pas grand-chose ?

Pas plus que n’importe quel journaliste de BFM TV qui, à chaque fois qu’il fait un peu frisquet nous balance avec un sourire entendu que le climat reste immuable. Tu es preneur d’une autre bizarrerie ?…

Allez, va pour une autre bizarrerie…

Il s’agit de mon aspirateur.

Allons, bon, l’aspirateur, maintenant…

Mon aspirateur, donc, donnait des signes de fatigue et nous l’avons confié, ma compagne et moi, aux bons soins d’un réparateur. Au bout d’une petite semaine, ce monsieur téléphone à ma compagne pour lui indiquer que nous pouvons aller rechercher notre appareil. C’est moi qui me charge d’aller le récupérer et là, un détail me surprend, même si je n’y prête guère attention…

– Laisse-moi deviner, ton aspirateur était devenu un climatiseur à roulettes ?…

Non, mais sa partie supérieure a changé de couleur. Je me suis dit qu’une pièce avait dû être changée et que je verrais bien ça en consultant la facture que je venais de fourrer dans ma poche, après avoir réglé le montant de la réparation – 35 euros… et des poussières.

La lecture de la facture ne fit que confirmer mes doutes. Je découvris que cette facture ne me concernait pas puisqu’elle était établie, certes au nom de ma compagne, mais surtout à celui d’un Monsieur Machin dont je n’avais jamais entendu parler, mais qui pourtant… vivait, toujours selon la facture, sous mon propre toit ! Ma compagne partageait rien de moins qu’un aspirateur avec un monsieur qui n’était pas moi. Aïe !… Le coup fut rude. Certes, il existe des partages plus intimes ; j’y vis cependant comme une preuve de duplicité. N’étant pas d’un naturel jaloux – les délires de l’Othello de Shakespeare ne sont pas les miens -, je ne fis pas grand cas de mon infortune. Toutefois, cela m’a préoccupé d’apprendre que dès que j’avais le dos tourné, Monsieur Machin jouait les bergers en rassemblant les moutons qui ruminent sur mon parquet.

– Ça devient un rien surréaliste ton affaire ?…

Et va savoir si ce mystérieux gardien de moutons n’aspirait pas à développer, à mon insu, une filière pour fournir en laine fraîche la petite dame de l’arrêt de bus ? D’autres que moi vireraient complotistes pour moins que ça… Bon, au final, il s’est avéré qu’il y avait eu substitution d’appareils en attente de réparation dans le magasin. Le réparateur s’était trompé d’aspirateur et mon naturel distrait avait amplifié la méprise.

– On peut dire aussi, Tonton, que tu ne passes pas souvent l’aspirateur, si tu n’es pas fichu de reconnaître le tien, quand tu vas le chercher chez le marchand. Imagine que tu fasses pareil en allant chercher ton enfant à l’école, hein ?…

Ben, tu vois, j’ai anticipé le problème, puisque conscient de mes limites, je ne t’ai pas donné de cousin(e)…

– Tu as réponse à tout, mon Tonton.

Non, Pierre-Benoît, pas à tout. Je reste notamment stupéfait de voir que parfois, des tiers paraissent mieux me connaître que moi-même. Et au-delà du fait que le réparateur m’a attribué brièvement l’identité de M. Machin, j’ai repensé à la faveur de cette anecdote, à un autre instant de doute abyssal. C’était en Espagne. J’avais pris une chambre d’hôtel que je devais quitter dès poltron minet, pour cause d’autobus particulièrement matinal devant me mener vers une autre destination, afin de poursuivre mon voyage. Je règle par conséquent ma chambre avant d’y avoir dormi et demande à récupérer mon passeport. La réceptionniste m’en tend alors un qui n’est pas un passeport européen. Je secoue la tête exprimant mon désaccord. Ce qui n’affecte nullement la détermination de la dame. Celle-ci ouvre même le passeport à la page de la photo, et me désigne, d’un index hargneux, la tronche de terroriste sud-américain qui y est agrafée. Dans le genre :

Mon ptit père, on ne me l’a fait pas à moi. Des zozos dans ton genre, le Franquisme en a maté de plus intrépides que toi !…

Grand moment de solitude. Le bougre a une bobine aussi passible des galères que la mienne. Mais ce jumeau de la Cordillère n’est pas moi pour autant. Ma maîtrise de la langue de Cervantès étant voisine de nada, je me sens mal parti pour récupérer la preuve de mon identité. J’ai toutefois la présence d’esprit d’affirmer que je suis français ; ce dont le Che Guevara qu’elle me désigne ne peut se vanter. Je lui indique alors un autre passeport logé dans la boîte où elle a entassé ceux de ses clients. Avec mauvaise grâce, elle accepte d’ouvrir ce second passeport « made in CEE », et se rend à l’évidence. Le gus sur la photo me ressemble encore davantage que le précédent. Non sans s’y reprendre à deux fois, la réceptionniste me rend mon bien, m’évitant – caramba ! – une usurpation d’identité, et sans doute bien des tracas.

– Qui es-tu donc, Tonton ?…                                                                                                    

Parfois, je me le demande aussi. Rimbaud l’a affirmé avant moi : Je est un autre. Soit, mais des fois, ça fait quand même bizarre !… Et bien sûr, la version pour les oreilles se trouve juste là. Elle débute à 5’02 ».

                                                                                                         

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