A-coup fan de la St Valentin

Eh bien, vois-tu, mon bon Michel, afin de trouver l’inspiration pour ce nouvel à-coup fan, je suis allé piocher dans le calendrier ! D’ailleurs, je devrais faire ça plus souvent, ça m’éviterait de me creuser la tête pour dénicher un sujet de chronique.

Michel, je te sens quelque peu interloqué. Tu te demandes ce que je vais encore bien pouvoir étaler comme sottise à ce micro, alors que nous fêtons les Béatrice aujourd’hui ? Pas d’inquiétude, vous les Béatrice qui m’écoutez, soient rassurées ; je n’ai aucune Dante contre vous…

En fait, comme je ne suis pas à un jour près, j’ai jeté mon dévolu sur les Valentin. Oui, demain, c’est la grande kermesse des dentelles affriolantes, la grande braderie des douceurs en tout genre. Une aubaine pour claquer son pognon, moins de deux mois après Noël. Et bien sûr, j’ai pensé habiller d’une jolie ritournelle, cette pause bienvenue dans ces engueulades, qui font le ciment inaltérable de tout couple d’homo sapiens.

Et c’est assez naturellement que je suis allé chercher chez Jacques Brel de quoi structurer mon baratin du jour. Evidemment, pour la St Valentin, j’aurais pu choisir « Ne me quitte pas », le côté décalé de ce choix aurait pu s’avérer amusant. « Ne me quitte pas » qui, il faut bien le reconnaître, possède toutes les vertus d’un vaccin efficace contre la vie en couple…

Dans le même genre, il y avait « La chanson des vieux amants », mais je l’ai déjà déguisée en à-coup fan. Aussi, ai-je pensé à une certaine « Mathilde »…

« Mathilde », ça démarre sans tambour, mais avec de la trompette, sur fond de cavalcade. Une trompette qui claironne une renommée dont celle qui incarne le rôle-titre de cette chanson aurait pu se passer, tant le portrait n’est guère flatteur. Le genre beauté vénéneuse.

Les trois premiers vers de la chanson ont, avouons-le, un je ne sais quoi d’énigmatique.

Ma mère, voici le temps venu
D´aller prier pour mon salut
Mathilde est revenue

« Prier pour mon salut », Rien que ça. Dans le genre : Môman, fais quelque chose, même des prières auxquelles je ne crois guère ». Parce que là, ça va saigner ! Pourtant, « Mathilde est revenue » est, de prime abord, une information des plus anodine. En théorie, c’est le type de phrase qui ne devrait pas inquiéter beaucoup plus que « Tiens, voilà le facteur ! »…

Et pourtant, très vite, on sent que Monsieur Brel n’est pas franchement dans son assiette. Il ne veut même plus picoler, préférant s’abreuver de son chagrin. Wouah !… Il appelle bien ses amis à la rescousse, mais il apparaît très vite évident que les renforts ne parviendront pas à contrer l’offensive de ladite Mathilde. C’est qui cette fille ? Attila ? Gengis Kahn ? Un clone de Poutine ?

Au détour d’un vers, Brel nous confie que sa servante, la Maria, a tenté (sans succès visiblement) de lui faire oublier cette « maudite Mathilde », et l’on comprend que ce pauvre garçon, même s’il est entouré de marques de sollicitude, se trouve bien isolé face au péril que représente le retour de cet amour destructeur. Un retour martelé 12 fois dans une chanson qui dure moins de 3 minutes ! Un « Mathilde qui est revenue » que je n’hésite pas traduire par « Mathilde que je rêve nue ». J’y vois le fantasme d’un amour-fantôme en quelque sorte…

Et au couplet suivant, changement de focale. Je vous l’ai déjà dit : les chansons de Brel, c’est du vrai cinéma. « Mathilde » ne fait pas exception à la règle.

Le plan se resserre, les allié(e)s sont occulté(e)s, et on zoome sur le désespéré de service. Ou plus exactement sur des parties de son corps, son cœur et ses mains en l’occurrence. Des parties de son corps que notre grand Jacques a toutes les peines du monde à maîtriser. Et malgré ses exhortations, on voit bien que ça va partir en quenouille.

Le cœur – si je puis dire ! – n’en fait qu’à sa tête, s’obstinant à répéter que « La Mathilde est encore plus belle qu’avant l’été ». Tiens, on découvre que cette femme n’a rien de repoussant. Bien au contraire. Si encore elle était moche !… C’est donc sa beauté qui est effrayante.

Jadis, naguère, on ne sait pas quand au juste, Mathilde a pris le petit cœur de Brel pour en faire des confettis. Et là, elle revient. Pourquoi au fait ? Parce qu’elle n’a pas fini la besogne ? Pour se faire pardonner de tout le mal qu’elle a fait ? Ses motivations resteront inconnues. Elle revient, point barre ! Et ça n’est pas une bonne nouvelle, car la rechute ne fait guère de doute.

Notre Jacques s’était grosso modo habitué à être malheureux d’avoir été quitté par sa Dulcinée, mais à coups de pinard et de nuits avec Maria, l’affaire était sous contrôle. Et patatras, ce fragile équilibre vole en éclats !

Après le cœur, gros plan sur les mains qui elles aussi, vont « trahir » ce pauvre Jacques. Brel tente bien de les apitoyer « Souvenez-vous quand je vous pleurais dessus ». Soyez raisonnables, les filles !… Mais rien n’y fait. La puissance dévastatrice de la passion ne peut être endiguée. Ce gars qui n’est plus lui-même et qui est même lâché par son propre corps, me fait songer au « Hors-là » de Maupassant. Ce « je » qui est un autre, comme l’affirmait Rimbaud, prend les commandes. Il est l’équipage pirate qui s’empare du navire. Plutôt dans la perspective du pire que dans celle du meilleur.

Bizarrement, alors que tout est en train de se déliter, à l’arrière-plan, en contrepoint, le piano continue son petit bonhomme de chemin, ponctué par quelques rappels à la trompette. Des trompettes qui à l’aune de celles qui firent s’écrouler les murailles de Jéricho, lézardent peu à peu les réticences de Brel à accueillir le retour de sa chérie. Cette approche tranquille de Mathilde qui contraste tant avec les paroles qui oscillent entre la rancœur et l’hostilité, ne pouvait aboutir qu’au retournement de situation.

Et ce que l’on pressentait dès le début avec « vaudrait peut-être mieux changer nos draps » qui n’était que l’expression d’une hypothèse, éclate au grand jour, à travers un grand coup de cymbales, la cause est entendue. Mathilde a tout chamboulé.

Pourtant, Brel reste plus que lucide : « Jacques retourne en enfer » affirme-t-il. Un enfer pavé des meilleures intentions ? Pas si sûr. Un simple détail l’indique. Brel prend le pari de « Cracher au ciel encore une fois ». Et non pas « une dernière fois ». L’amoureux ivre de la joie de retrouver sa belle, ne se fait pas d’illusion. Il prend ce que la vie, l’amour, veulent bien lui donner. C’est du carpe diem et basta !… On ne négocie pas avec la passion.

Et puis, au fond de lui, il sait très bien que si l’on crache au ciel, le crachat a toutes les chances de retomber… Sur celui qui l’a projeté en l’air.

Et puis, évidemment, la version « pour les oreilles » de cette chronique est également disponible en allant faire un tour par ici. Et comme d’habitude, il vous est vivement conseillé d’écouter l’intégralité de l’émission.
                                                                                  

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