Nous voici fin septembre, cependant, je suis sûr que dans bien des esprits, dans bien des têtes qui nous écoutent, les vacances d’été ne sont point encore totalement oubliées. Non, Michel, pas d’inquiétude – je te sens fébrile subitement…- je ne vais pas te raconter mes vacances ! Je ne vais pas te projeter mes diapos sur le mur du studio. Des diapos qui comme toutes les diapos, n’intéressent que celui qui les a prises… Néanmoins, je vais évoquer le mois d’août et y faire référence dans un style très visuel. Le mois d’août en question n’est pas celui qui vient de s’achever. Il est bien plus lointain, puisqu’il s’agit de celui de 1975. Voilà qui ne nous rajeunit pas, mon bon Michel ; je te le concède…
Et qui donc a chanté le mois d’août de cet été de 1975 ?… Monsieur Charlélie Couture, himself. Certes, ce n’est pas son titre le plus connu. Et pourtant, il y a beaucoup à dire sur ce petit bijou de chanson qui se déploie dans nos oreilles à la manière d’une succession de plans de cinéma. Son auteur d’ailleurs, en parle fort bien, à la faveur d’une interview consacrée à cette ballade. Couture y insiste sur le contexte dans lequel il a écrit cette chanson. Sur la démarche adoptée. C’est ci-dessous.
La forme, tout d’abord. A écouter « La ballade du mois d’août », on entend presque, au fil des couplets, le ronron de la caméra Super 8 (c’était le format en vigueur pour qui voulait s’exercer à la vidéo en ces temps préhistoriques). « La ballade du mois d’août », ce sont de mini-séquences montées bout à bout, et qui vont relater des instantanés de bonheur désormais disparus. Des moments très personnels, mais qui pour cette raison, prennent justement un caractère quasi-universel. Le fameux « bon vieux temps » qui s’écoule, sans que l’on s’en rende compte vraiment. Ce bon vieux temps qui, selon les individus, prend l’aspect de déhanchements forcenés jusqu’à l’aube, sous les lasers et dans les basses assourdissantes du Macumba, ou plus pépère, à regarder le ciel dans un fauteuil en toile. Dixit Monsieur Couture.
La forme, c’est fait, j’en viens donc au fond.
Le plus souvent, a-t-on pleinement conscience, de ces petits moments de bonheur chapardés à la grisaille ambiante et aux déboires les plus variés, passés et à venir ? Généralement, nous ne les remarquons pas. Combien d’entre nous ont eu la lucidité de reprendre à leur compte les propos du Faust de Goethe : Arrête-toi, instant, tu es si beau ! » ? Je prends le pari : pas grand monde, probablement. En revanche, le souvenir de ces moments de pure félicité s’imprimera en nous. Au plus profond de notre être. Et on se les repassera en boucle, les jours de pluie pour y mettre un peu de lumière, comme le chante Couture à la fin de sa chanson.
A écouter, et de fait, à visualiser les vacances – non pas de Monsieur Hulot – mais de Monsieur Couture, en cet été de 1975, j’ai l’impression que le jeune Charlélie d’alors a, lui, parfaitement cerné la notion d’éphémère contenue dans « carpe diem », cette injonction latine qui nous invite à ne pas perdre de temps et à vivre notre présent intensément. Parce que le présent, par définition, ne s’attarde pas. Il n’a qu’une envie, celle de basculer dans le passé. Aussi, est-il tentant de citer Léo Ferré :
Le bonheur, c’est pas grand-chose,
C’est juste du chagrin qui se repose.
C’est un peu ce que fait Couture, avec sa Ballade du mois d’août. Il égrène ces moments de temps suspendu, comme un chapelet de petits bonheurs que rien ne semble pouvoir altérer :
Quand le café était prêt
Une fenêtre s’ouvrait
Et la mère d’bonne humeur
Commentait un de ses rêves
Ou encore :
On allait chercher du fromage
De chèvre frais
Dans la ferme du haut
Tes frangins faisaient
Des sprints à vélo
Sur des routes désertes
Y’avait rien à gagner
Et les journées passaient
Tout était simple
Des vacances qui n’affichent rien de particulièrement exaltant. En apparence. Mais des vers qui prennent des allures de paradis perdu. Car ce sont peut-être les passages les plus anodins de nos vies qui renferment les plus intenses saveurs, celles dont on se souviendra longtemps. C’est sans doute la leçon que Charlélie Couture nous invite à tirer de sa Ballade du mois d’août. Une leçon de simplicité. Sans fard – même breton. Sans artifice. D’autant que, comme il le souligne dans son interview, cette chanson possède pour lui un intérêt majeur, car la femme pour laquelle il a écrit La ballade du mois d’août est aujourd’hui décédée.
Alors, même si Couture clame qu’il ne reste rien de ce qui est vécu sinon quelques grains oxydés sur de la paraffine, on a bien envie de se replonger, chacun, chacune, dans sa propre ballade du mois d’août, aux temps où l’insouciance prenait le dessus sur une réalité pas forcément stimulante, et que l’on avait eu l’excellente idée de mettre entre parenthèses.
Mais assez bavardé, il est temps d’écouter Charlélie Couture, en allant faire un tour sur le « pot de caste » de Radio G !. Il est même recommandé d’écouter toute l’émission concoctée par Michel Boutet.