Elle avait orienté son lit pour profiter des premières lueurs de l’aube. Au dehors, celles-ci progressaient en éclaireurs prudents, escaladant tout d’abord la colline voisine pour fondre ensuite sur sa cabane, juste avant de monter à l’assaut des champs de coton tout proches. En moins d’une demi-heure, l’aurore rendrait incandescente toute cette étendue de terre rouge ; mais auparavant, elle s’imposait de faire escale sur les murs de sa cabane.
Chaque matin, son lit attendait ce miracle quotidien. A force de tâtonnements, elle avait fini par trouver l’angle idéal. Le soleil, la fenêtre, le lit, formaient désormais une conjonction parfaite qui s’épanouissait sur son oreiller. Et c’était chaque jour pour elle, un même bonheur recommencé que d’avoir la tête de son lit effleurée par les rayons d’un soleil timide comme un adolescent amoureux.
En quelques minutes, l’obscurité était grignotée, vaincue, et la clarté matinale s’étalait sur la toile rêche de son oreiller. Bientôt sa joue était atteinte, la lumière la chatouillait, hésitante, avant de l’inonder tout à fait. Elle ouvrait lentement les paupières, souriait à l’annonce de ce jour nouveau, étirait ses longs bras, enserrait son corps avec. Elle promenait distraitement son regard sur la pièce unique qui constituait son home sweet home, repoussait le drap et se levait d’un bond. Elle enfilait alors sur son corps d’ébène, la robe défraîchie qu’elle avait la veille déposée sur la vieille chaise paillée, et sortait en traînant la chaise au bout de son bras.
Elle descendait les trois marches du semblant de terrasse qui prolongeait sur l’une de ses façades sa bicoque de mauvaises planches. Elle foulait de ses pieds nus l’herbe perlant sa rosée, faisait encore quelques pas, puis posait la chaise au milieu de l’aurore. Au beau milieu de rien. Elle s’asseyait, puis envoyait sa tête en arrière pour mieux prendre possession du dossier. Alors elle commençait à sourire au ciel ou à la brise qui montait du sud. Et elle ne tardait pas à rire. A gorge déployée. Elle riait d’être libre, ou tout simplement vivante. Libérée du joug de cet homme qui aurait pu la détruire.
Elle prenait chaque matin sur sa chaise un bain de lumière. Un thé brûlant et un morceau de pain de maïs viendraient ensuite. C’était son rituel de renaissance. Et son rire l’enveloppait, la drapait de sa force. Parfois, en écho, depuis le bosquet de chênes voisin, un oiseau moqueur lui répondait. Elle appréciait alors à travers leur échange de rires, toute la dimension de son bonheur, en savourait chaque seconde.
Souvent, elle ouvrait sa robe pour mieux se gorger de toute cette orgie de lumière qui jour après jour, revenait inlassablement. Elle offrait au soleil qui décollait de l’horizon ses épaules débarrassées du tissu. Certains jours, elle lui permettait même de contempler ses seins pour l’encourager dans son ascension. Et elle riait sans discontinuer.
Elle riait parce qu’elle savait que jamais plus aucun homme, aucune des éponges à bourbon qui échouaient par ici, ne la toucherait sans qu’elle ne l’ait décidé. Plus jamais aucune main tremblante d’ivrogne ne s’aventurerait sous sa robe. Personne ne lui pétrirait plus gauchement les seins, et encore moins sans avoir été fichu au préalable de les admirer. En silence. Comme la beauté de leur galbe l’exigeait. Pour rien au monde, elle ne serait à nouveau la chose de quiconque. Ce corps que l’on possède un court instant pour mieux le mépriser des jours durant. Plus jamais ! Finalement, à bien y réfléchir, ce sale type avait été pour elle un détonateur.
D’ailleurs, elle se fichait bien de savoir ce qu’il était devenu. Elle était parvenue à lui faire plier les bagages qu’il n’avait pas, et n’aurait jamais. Elle l’avait chassé et c’était tout ce qui lui importait. Désormais, qu’ils le veuillent ou non, ses amants la respecteraient.
Pour accéder à la seconde partie de cette nouvelle, deux solutions : Soit vous notez sur vos tablettes – éventuellement numériques ! – la date du prochain passage des Premières Mondiales à proximité de vos pantoufles, soit vous jetez un oeil au court extrait vidéo ci-dessous. Je ne vous cacherai pas que c’est mieux en vrai, mais le passage sélectionné vous donnera déjà un aperçu de ce qui attend – ou pas – l’héroïne de cette nouvelle écrite bien avant #Metoo.