Des poches sous les yeux (2)

Pour mon ultime chronique dans « L’Oreille curieuse » cette année, j’ai pensé vous faire quelques suggestions de lectures. Les vacances approchent à grands pas pour vous, juilletistes fidèles ou aoutiens inconditionnels, et cette phase de temps suspendu peut être propice à la lecture. J’ajoute que je crois avoir pensé à tout. En effet, l’été voit généralement le mercure grimper allègrement, et le réchauffement climatique n’arrange rien. Par voie de conséquence, sur la plage, pour peu qu’une bonne canicule de derrière les fagots soit de la partie, vous risquez bien d’atteindre la surchauffe. C’est pourquoi je me suis dit que des romans du Grand Nord vous rafraîchiraient les neurones. C’est donc avec une sélection de bouquins écrits par des auteurs scandinaves que je suis venu aujourd’hui à ce micro. Et l’on dira après que Tonton Albert ne prend pas soin des gens qui l’écoutent !…

Commençons par un roman rendu léger, par le ton employé et les situations cocasses qui y sont décrites, et néanmoins ne manquant pas de profondeur quant aux thèmes qu’il aborde. Le titre en est « Maurice et Mahmoud ». Son auteur est le danois Flemming Jensen. Les subtil(e)s qui abondent parmi vous auront immanquablement deviné qu’il va être question de choc des cultures. Et vous ne serez pas déçus. Tant le quotidien de Maurice façonné par un occident luthérien va se confronter aux habitudes de Mahmoud importées du Liban. Un Liban qui s’invite à Copenhague via la voix de la mère de Mahmoud qui tonne au téléphone (mais c’est comme si elle était dans l’appartement danois), et qui n’a qu’un but : marier son grand fiston. Le mariage, ça tombe bien, Mahmoud vient de voir où ça même, puisqu’il a recueilli chez lui son collègue Maurice fichu à la porte de chez lui par son épouse. Les présupposés et autres préjugés seront bien sûr de la fête. Une fête totalement foutraque à laquelle s’invitera ce bon vieux Murphy pour y faire sa loi. Je ne vous apprends rien : quand ça commence à partir en saucisse, il n’est pas rare que ça finisse en eau de boudin.

Ce n’est pas le porcelet qui pose sur la photo de couverture avec un masque au concombre qui me contredira. Bref, voilà une première suggestion qui n’engendre pas la mélancolie… et qui, l’air de rien, est un appel vers cet autre que soi. Si différent, certes, mais peut-être pas tant que ça.

Si vous avez aimé cet opus de Flemming Jensen, n’hésitez pas à acquérir un autre de ses romans :  Le Blues du braqueur de banques. Tout aussi délirant, mais empreint d’une vraie gravité à l’image de ces histoires d’amour qui finissent mal… en général.

Si Météo France vous annonce soudain que le relevé des températures à l’ombre va être rendu impossible pour cause d’absence totale d’ombre, il va être temps de vous plonger dans ma seconde suggestion du jour. On monte encore d’un cran vers le nord. Cap sur l’Islande avec ce roman de Jón Kalman Stefánsson, intitulé « La tristesse des anges ».  Attention l’overdose de poésie vous guette au détour de ses pages. Un exemple avec cet extrait :

Il a suffi d’un poème et le Gamin avait déjà disparu dans les mots. Il ne se souciait plus de la tempête, il récitait les poèmes à haute voix pour son propre plaisir, les débitait, tel un sorcier qui entrevoyait d’autres mondes. La poésie vous tue, elle vous donne des ailes, vous les agitez un peu et sentez l’enchantement vous envahir. Elle vous ouvre des mondes nouveaux, puis vous ramène brutalement à la tempête et aux souillures du quotidien…

Ce gamin qui n’a pas de nom, vous allez l’accompagner dans la tourmente, dans un froid glacial propulsé du pôle nord, comme s’il était soufflé par un dieu haineux. Ce gamin escorte Jens le Postier dans sa tournée périlleuse à travers les fjords du nord de l’île. Une contrée hostile où souvent il n’y a pas âme qui vive, mais où les fantômes peuvent parfois surgir, au détour d’une congère. Les deux hommes – le postier bourru et taiseux et l’adolescent au cœur d’artichaut – apprendront à se connaître dans ces conditions extrêmes dictées par une nature qui ne fait pas de cadeau. Leur survie au pays des sagas est à ce prix.

Cette tristesse des anges n’est autre qu’une métaphore désignant les flocons de neige, larmes célestes emplies de beauté et pourtant si chargées d’une redoutable menace. Ce roman s’inscrit dans une trilogie. Il fait suite au premier volet « Entre ciel et terre », et précède le dernier, « Le cœur de l’homme ». Autant dire que nous avons là, avec ces trois romans de Jón Kalman Stefánsson, de bien belles pulsions d’humanité.

Ça y est, vous avez dû enfiler votre polaire. Je vous avais prévenu(e)s ; le blizzard islandais possède une capacité de persuasion étonnante. Comme je ne cherche pas non plus à vous faire attraper un mauvais rhume, je vous propose, en guise de conclusion, de gagner une île perdue dans l’Océan Indien. C’est le décor qu’a choisi le troisième écrivain invité dans cette chronique : Arto Paasilinna, le Finlandais amateur de situations improbables mais ô combien désopilantes. Allez, il est temps de retirer votre parka et de remettre votre maillot de bain, pour ressentir pleinement l’ambiance de « Prisonniers du paradis ». Joli titre, n’est-ce pas ?! Mais je ne m’hasarderai pas à le dire en VO.

Cela démarre avec le crash d’un avion. Quelques morts bien sûr pour faire véridique, mais surtout une cinquantaine de survivant(e)s, respectant la parité. Par chance, ils et elles sont dans la force de l’âge. Des bûcherons d’un côté et des sages-femmes de l’autre. Rapidement, la vie va s’organiser dans cette assemblée de naufragé(e)s qui pourrait bien prendre les aspects d’une société idéale. Du travail juste ce qu’il faut, et beaucoup, vraiment beaucoup de temps libre, à passer auprès des cocotiers à « se la jouer retour au paradis terrestre ».

Et il ne faut finalement pas très longtemps pour que le confort scandinave et la fiscalité qui va avec soient oubliés au profit de cette chance inespérée qu’il y a, à se trouver là, oublié(e)s du monde. Jusqu’à ce qu’une scission se produise entre les partisans du retour au bercail et les tenants de la formule « Non, mais ça serait vraiment trop idiot de partir d’ici ». L’arrivée d’un bateau, porteur d’espoir pour les uns et sifflant la fin de la récréation pour les autres, sera l’opportunité pour Arto Paasilinna de nous offrir un grand moment de paradoxe haut en couleurs. Ah, qu’il est dur de renoncer à la liberté, quand on sait qu’elle ne vous attend pas à la maison !

Sur ces considérations, je vous souhaite de belles lectures et de bonnes vacances à toutes et tous !

La version audio de ce texte est également disponible sur le « pot de caste » de Radio G ! en allant laisser traîner vos oreilles curieuses par ici. Cela débute à 4’30, mais n’hésitez pas à écouter la suite de l’émission.

1 commentaire sur « Des poches sous les yeux (2) »

  1. La curiosité m’a fait tendre l’oreille en me connectant sur le « pot de caste » de Radio G
    Ce texte est très plaisant à écouter, d’autant plus que cette voix très familière me rappelle quelqu’un de fort sympathique

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