Petit coup de pouce à deux bouquins lus récemment. Bon, lesdits bouquins n’ont pas besoin de mon aide pour se vendre, car ils sont déjà de vrais succès dans leur pays d’origine, l’Allemagne pour l’un, l’Italie pour l’autre. Et ne me dis pas, lecteur, lectrice :
Décidément, tu lis toujours aussi peu de littérature franco-française, on dirait ?…
Oh, je pourrais prendre ça pour un reproche ! Bien sûr que je lis aussi des romans estampillés « pur cocorico ». Cela dépend de ce qui me tombe sous la main… et pas « ce qui me tombe des mains ». Mais, j’ai compris ; je te préparerai, lectrice, lecteur, une prochaine fois un spécial « Des poches sous les yeux » en tricolore… Pour l’heure, j’ai choisi ces deux romans, parce qu’ils sont en quelque sorte un clin d’œil à la murder party qui s’est déroulée le 24 mars dernier dans un Prieuré que je ne présente plus. Le fameux Prieuré de St Remy la Varenne.
Traversons tout d’abord à la fois les Alpes et le temps, pour nous rendre à Milan durant la Renaissance. Le duc Ludovic Sforza, dit le More, y règne en maître absolu. Sa ville connaît, en cette fin du XVème siècle, une période florissante qui attire des artistes de renom, tel qu’un certain Léonard De Vinci. Un Léonard aux talents multiples qui a promis au Duc de Milan de réaliser un gigantesque cheval de bronze afin d’honorer la mémoire de Francesco Sforza, le père du duc actuel. D’où le titre du roman : Le cheval des Sforza dont l’auteur est Marco Malvaldi.
Parallèlement à cette stimulation des Arts, des bruits de bottes se font entendre par l’intermédiaire du roi de France, Charles VIII, qui verrait bien le Royaume de Naples comme sa résidence secondaire. Mais pour cela, il lui faut traverser le Duché de Milan et si possible, obtenir l’aide – au minimum financière – des Milanais. Oui, notre Charles VIII, pour belliqueux qu’il soit, se trouve un peu léger d’argent. D’où des tractations, des conciliabules et des coups tordus. Notre Léonard préféré sera mêlé malgré lui à tout ceci, car son génie a franchi les frontières et les François voudraient bien s’emparer de son précieux carnet dans lequel il compile ses trouvailles et réflexions. Et comme si cela ne suffisait pas, voilà que l’un des anciens apprentis du peintre-ingénieur est retrouvé mort sur le pavé devant le château ducal. Serait-ce la première victime d’une nouvelle peste ?
A la demande du duc de Milan, Léonard utilisera ses connaissances en anatomie pour évacuer cette apocalyptique hypothèse, et s’apercevoir que le bougre a été assassiné. Dès lors, Léonard jouera les Hercule Poirot pour démanteler un trafic de fausse monnaie susceptible d’apporter, non la peste, mais la banqueroute à Milan. Entre-temps, il croisera le fer en paroles avec de dignes représentants de l’obscurantisme (astrologue, prédicateur et autres religieux fanatiques). Et bien sûr, il n’achèvera jamais le monumental cheval de bronze. Davantage pour des raisons techniques qu’à cause de sa nouvelle passion d’enquêteur.
Au-delà de cette plongée dans la Renaissance italienne et dans la tête de Léonard, il y a l’écriture de Marco Malvaldi, visiblement servie par la traduction « aux petits oignons » de Nathalie Bauer. Un Malvaldi qui saupoudre son récit de traits d’humour et d’ironie, notamment en comparant ce XVème siècle finissant qui voit le capitalisme et l’affairisme pointer leur nez, et notre époque qui consciemment, leur a vendu son âme.
Quant à l’autre livre que je vous conseille, il s’agit d’un roman de Karsten Dusse qui s’intitule « Des meurtres qui font du bien ». Un titre pour le moins énigmatique. C’est l’histoire de Björn, un avocat de droit pénal dépourvu du moindre scrupule. Et pour cause, puisque son principal client est un mafieux de la pire espèce qu’il doit régulièrement tirer des mauvais pas dans lesquels il s’est fourré, en trouvant les failles juridiques qui lui éviteront de moisir en cabane. Un travail éreintant, mais très lucratif. L’argent ne faisant pas le bonheur, le ménage de Björn part en quenouille, et son épouse lui lance un ultimatum : consulter un coach pour évacuer son stress permanent et recouvrer la sérénité, sous peine de rupture et de déménagement signifiant qu’il ne verra plus leur fille, Emily, que Björn adore.
En traînant les pieds, notre avocat se rend chez un thérapeute qui va l’initier à la pleine conscience.
Euh, c’est quoi, ça, Tonton ?… » t’interroges-tu, toi qui lis ces lignes.
Eh bien, c’est du Carpe Diem à la puissance 10. Profite du moment présent sans te préoccuper du reste. Il faut toujours rester zen et relativiser l’ampleur des situations les plus préoccupantes qui s’amoncellent au-dessus de votre tête. Sauf qu’avec notre avocat et les inquiétants sbires qu’il fréquente, la technique préconisée par le coach va prendre des directions pour le moins inattendues… autant qu’irréversibles. Et comme il côtoie le crime organisé, il n’est apparemment pas très compliqué pour notre Björn d’organiser quelques meurtres pour se débarrasser des gêneurs. Au moins le temps d’un ouiquenne. On verra lundi matin comment gérer les conséquences de l’acte. Chaque chose en son temps, et la fin justifie les moyens.
Il va sans dire que l’on est là dans de l’humour vraiment noir et aux portes du quatorzième degré. C’est tout bonnement jubilatoire.
L’idée de réunir chez un même protagoniste, la notion de « pleine conscience » et paradoxalement l’absence totale de conscience, il fallait y songer. Karsten Dusse relève brillamment le défi, et c’est à un véritable numéro d’équilibriste que l’on assiste. Les urgences – potentielles futures catastrophes irrémédiables – étant juste traitées l’une après l’autre, sans affolement aucun. On aimerait, parfois, que cela puisse être aussi vrai hors des romans…
Et la version spécialement conçue pour vos chers pavillons auriculaires est disponible sur le « pot de caste » de Radio G ! Cela démarre à 20’12 ». Oui, la chronique pour une fois, a été diffusée en seconde partie d’émission.