Tant qu’à aller rechercher mon neveu Kevin (voir le texte « Deus ex machina), autant qu’il reste un moment avec nous, pour poser les bonnes questions. J’adore dialoguer avec mon neveu ! Et vous allez constater qu’il s’intéresse de près à mes chroniques radiophoniques, les fameuses « Bouteilles aux trois-quarts vides« .
Kevin : Alors, après un mois d’absence à la radio, c’est le retour de la bouteille aux trois-quarts vide ?
Eh bien, sans te vexer, mon petit Kevin, j’ai comme l’impression que l’on a pris quelques tailles de plus, en un mois d’absence, et qu’en fait de bouteille, nous voici au stade de la bassine ! La méga-bassine. Un genre de bouteille XXXXL. Est-elle pleine pour autant ? Rien n’est moins sûr.
Kevin : A propos, si tu nous parlais un peu des conditions de remplissage ?
Pourquoi pas, après tout. Un peu de pédagogie n’est jamais inutile. Les méga-bassines sont d’immenses bassins artificiels bétonnés qui s’étalent sur plusieurs hectares, destinées à stocker de l’eau en hiver, et la réutiliser en été pour un usage agricole. Essentiellement sur les cultures ayant les plus forts besoins en eau, comme le maïs pour ne pas le citer.
Kevin : Cela se tient. On stocke en hiver pour arroser en été quand il y a peu d’eau disponible et qu’il fait le plus chaud. C’est le moyen de faire face au changement climatique.
Mmmoui. Sauf que ce scénario – séduisant sur le papier – est beaucoup moins idyllique dans la réalité.
Kevin : Et pourquoi donc ? Les pluies hivernales remplissent les bassines qui sinon…
Rechargeraient les nappes souterraines et remettraient un peu de débit dans des rivières malmenées par les sécheresses à répétition. En somme, ces pluies requinquent la nature.
Tu vois, ces bassines révèlent une vision purement utilitariste de l’eau. En gros, et au hasard pour la FNSEA, l’eau ne sert à rien d’autre qu’à faire croître des plantes cultivées, qui elles-mêmes doivent permettre de dégager un bénéfice financier, acheter un plus gros 4X4, etc… Cette vision fait complètement abstraction du fait qu’il n’y a pas que le maïs qui a besoin d’eau, mais aussi le vivant dans sa totalité. Quel intérêt – hormis d’ordre financier – y aurait-il à disposer de champs de maïs rutilants avec des rivières à sec alentour ? Juste un peu d’opulence dans un univers dévasté ?…
Cerise sur le gâteau : le remplissage des méga-bassines par les pluies d’hiver est une légende – non pas urbaine, mais rurale – car ces « réserves de substitution » comme se plaisent à les nommer leurs laudateurs, sont majoritairement alimentées par des pompages. Dans les rivières comme dans les nappes souterraines. Ben oui, avec des hivers durant lesquels il ne pleut pas suffisamment, comme celui de cette année, si l’on compte seulement sur la pluie pour engranger des dizaines de milliers de mètres-cubes d’eau, on risque d’être chocolat en juillet. Ce qui fait que ces pompages accentuent la pression sur la ressource en eau, alors que les nappes souterraines ne parviennent pas à se reconstituer. Pas grave, on creusera plus profond !… C’est d’ailleurs ce qui se produit, avec des forages atteignant des profondeurs de 80 voire 100 m, pour aller chercher une ressource de moins en moins disponible. A chaque nouvelle sécheresse, on creuse plus loin ! C’est une sorte de proverbe Shadock. Pour celles et ceux qui possèderaient la référence.
Kevin : Mais je ne comprends pas, Tonton, ces méga-bassines ont bien été autorisées officiellement ? Il y a eu des études préalables pour valider leur construction ?
Justement, toutes n’ont pas été autorisées. Mais qu’à cela ne tienne, la stratégie du fait accompli fonctionne toujours à merveille dans notre pays. On y régularise sans trop d’état d’âme, les situations « borderline » sur le plan juridique, pour peu qu’elles concernent les filières de l’agriculture intensive. Et je ne parle même pas des nombreux recours intentés jusqu’au niveau européen, par les associations de défense de l’environnement et dont l’agro-business se contrefiche, comme toi de ta première layette.
Quant aux études préalables, il y en a une qui mérite que l’on s’y attarde, c’est celle qui avait été demandée au BRGM (Bureau de Recherche Géologique et Minière).
C’est l’organisme public de référence qui intervient dans le domaine de la géologie pour donner des avis sur la gestion des ressources et aussi des risques du sol et du sous-sol. Eh bien, dans le cas de Ste Soline, le BRGM a indiqué que l’impact sur l’environnement des méga-bassines pouvait être considéré comme négligeable… tout en soulignant que sa modélisation avait été calée sur la période 2000-2011. Et non pas sur la décennie suivante qui a vu la pluviométrie et les températures varier sensiblement par rapport à la période précédente. Et comme le BRGM ne manie pas l’art divinatoire, il est bien en peine d’estimer ce qui se passera dans les prochaines années.
Ces scientifiques ajoutaient que les phénomènes d’évaporation n’avaient pas été pris en compte dans cette étude. Et pour cause, car cette question pourtant centrale de l’évaporation ne faisait pas partie des questions posées au BRGM. Evitons toujours les questions qui fâchent !… Ce qui entre nous, apparaît un facteur quand même essentiel, vu les surfaces concernées et l’absence totale d’ombre alentour. Pour info, l’évaporation dans un ouvrage de ce type peut, au minimum, dépasser les 20 % du volume stocké. De là à parler de gaspillage, il n’y a qu’un pas. Petit pas auquel il convient d’ajouter un orteil : La fréquence des sécheresses hivernales pourrait à l’avenir, interdire – réglementairement et peut-être physiquement – de pomper dans les nappes souterraines, même en hiver donc, en raison de seuils trop bas. Moralité, ces beaux ouvrages en béton financés par de l’argent public pour le profit de quelques-uns, prendraient des allures de Ligne Maginot après juin 40. Un magnifique musée de plein air des grands projets inutiles, voilà peut-être l’avenir des méga-bassines…
Je vous invite d’ailleurs à écouter, à ce sujet, la mise au point de Mme Rousseau, la directrice du BRGM, lors de son audition par le Sénat, dans le cadre de la Mission d’Information sur la Gestion de l’Eau, le 15 mars dernier. Un bref regard sur cette vidéo de 34 ‘ à 40 ‘ est vivement conseillé et devrait suffire à relativiser l’enthousiasme des défenseurs des méga-bassines.
Au moins autant que l’appât du gain inspiré de « Après moi le déluge ! », chez certains ! Au final, une partie grandissante de la population cerne bien que ces histoires de méga-bassines, c’est encore une grosse ficelle pour maintenir sous perfusion, des pratiques agricoles d’un autre âge. Les dégâts de ce productivisme sont autant avérés que considérables.
Ils contribuent à faire disparaître les plus petites exploitations, qui elles, n’ont pas pour objectif d’exporter au Qatar, mais bien de nourrir les populations locales. Cette agro-industrie porte aussi la responsabilité de répandre des pesticides partout dans l’environnement, charmantes molécules que l’on retrouve dans les sols, dans l’air, dans l’eau. Là encore, la technologie nous sauvera de ce péril.
Et plutôt que de chercher des méthodes alternatives, ou prôner la mise en place de cultures davantage adaptées au changement climatique, tout est fait pour continuer à asperger gaillardement de flotte subventionnée, le maïs en plein cagnard. Comme on peut l’observer chaque été ! En somme, au-delà de la fuite en avant, point de salut !… et rien de nouveau sous le soleil, sauf qu’il se fait de plus en plus brûlant.
Bon, j’espère ne pas vous avoir trop bassiné avec ces stockages de flotte qui me semblent réalisés – si j’ose dire – sans aucune retenue !
Bien sûr, la version pour les oreilles est disponible en allant cliquer par ici. Cela démarre à 6’50 ».
Je me souviens d’un temps où nous jouâmes avec les lettres du FMI (à défaut de pouvoir jouer longtemps avec celles de DSK, dont K comme Kiki limitait trop l’imaginaire). Peut-être pourrions nous adapter à l’actualité, et jouer avec la FNSEA, voire FDSEA ? Ça nous passerait le temps dans les embouteillages.
Fais Nous Scrupuleusement Éradiquer l’Avenir ….