Des poches sous les yeux (n°6)

Aujourd’hui, j’ai pensé à celles et ceux qui, non seulement, s’y prennent au dernier moment pour acheter leurs cadeaux de Noël, mais aussi ne disposent que d’un budget limité pour leurs emplettes. Et comme l’inflation n’arrange rien, n’est-ce pas ?… Heureusement qu’il existe, pour ces retardataires peu fortuné(e)s, la rubrique « Des poches sous les yeux » du Saltimbhoucq reprise sur les ondes de Radio G ! dans l’émission Topette !…

Mais avant de vous faire part de ma petite sélection de bouquins à pas chers, j’aimerais ouvrir une parenthèse sur une actualité récente afin de rendre hommage à un parfait gentleman, en l’occurrence, M. Jean-René Cazeneuve, député du Macronistan et du Sud-Ouest. Bien qu’il nie les faits – en dépit de plusieurs témoignages attestant le contraire – M. Cazeneuve s’est, selon toute vraisemblance, adressé à Mme Cyrielle Châtelain, présidente du groupe écologiste à l’Assemblée, en lui prophétisant qu’elle serait tondue à la libération. Pas banal, n’est-ce pas ? Au motif qu’elle avait voté contre la Loi Immigration présentée par le Gouvernement. Mais surtout parce que les voix des écologistes, additionnées à celles de l’extrême-droite avaient fait capoter l’adoption du texte… Dans un premier temps.

Oui, juste dans un premier temps. Car depuis, le texte a été réécrit. Les votes « contre » qui s’étaient exprimés, à gauche, parce que le texte allait trop loin dans un pays qui se targue encore d’être celui des Droits de l’Homme, et à droite, parce qu’il était perçu comme bien trop timoré à l’encontre des étrangers qui – comme le rappelait jadis Fernand Raynaud dans un sketch d’anthologie – viennent manger le pain des Français. La nouvelle mouture de la loi reprenant à son compte des pans entiers du discours lepéniste (préférence nationale en tête au sujet des prestations sociales), c’est fort logiquement que les représentants de l’extrême-droite au Palais Bourbon, ont voté le texte. Comme un seul homme. Et bien évidemment, je me suis interrogé sur l’attitude adoptée par M. Jean-René Cazeneuve, pour ce match retour législatif. Toute personne d’une candeur absolue se dirait logiquement :

Il n’a pas pu apporter son soutien au nouveau texte étant donné que le RN avait annoncé qu’il le voterait.

Ça, adorables candides qui me lisez, c’est un scénario qui se déroulerait en pays de cohérence. Une terra incognita pour ce parfait gentleman qu’est M. Cazeneuve. Car notre député de la majorité a bel et bien voté en faveur du texte. Comme quoi, quand l’extrême-droite fait des croche-pieds à la majorité, elle est persona non grata, mais dès qu’elle facilite les desseins gouvernementaux – y compris les plus contestables – ses députés deviennent des gens tout à fait fréquentables. Le Macronistan, ou les experts en géométrie variable… Mais refermons cette parenthèse.

J’ai donc sélectionné deux ouvrages. De littérature étrangère.

Eh bien non, taquins qui me lisez, voire m’écoutez sur Radio G !, ce n’est même pas pour embêter M. Cazeneuve ! C’est juste histoire d’apporter un brin d’exotisme en cette fin d’année tout en crachin et en grisaille. Commençons par mettre le cap sur le sud de l’Europe. Direction, le Portugal. Et l’on va même faire un saut dans le temps, puisque nous voici en 1974, à la fin du mois d’avril. Et que se passe-t-il d’important – sinon d’essentiel – pour le Portugal à cette période, hum… Non, ce n’est pas un match de foot historique !...

Mais la « Révolution des œillets » ! Oui, un coup d’état militaire met fin aux 42 années de la dictature instaurée par Antonio Oliveira Salazar. Détail inhabituel et pour le moins paradoxal, c’est un putsch qui va rétablir la démocratie. Voilà pour le contexte historique dans lequel se déroule le roman « La main de Joseph Castorp » de Joao Ricardo Pedro. Un auteur qui nous entraîne dans un village perdu au fond de la campagne portugaise, pour nous faire découvrir trois générations de la famille Mendès. Une famille marquée à jamais par les guerres coloniales et par la répression du régime salazariste, événements douloureux qui surgissent via des flash back, et qui constituent autant de pièces d’un puzzle que le lecteur assemblera au fil des pages. Défileront alors, par un habile jeu de correspondances, nombre de turpitudes d’un vingtième siècle qui a produit son stupéfiant lot de barbaries.

« La main de Joseph Castorp » n’est pas, loin s’en faut, un roman sur la souffrance impulsée par cette satanée Grande Histoire qui broie les individus. Joao Ricardo Pedro sait, avec brio, apporter à son récit des temps de respiration et d’humour, en ayant recours à toute une galerie de personnages hauts en couleur. Un coiffeur tremblant de tout son être, comme s’il avait atteint le stade ultime de la maladie de Parkinson, mais qui pourtant, se fait d’une précision absolue, dès qu’il tient ses ciseaux en main. Un coiffeur pour le moins atypique qui donne ainsi à ses clients, pour le prix modique d’une coupe de cheveux, la sensation d’avoir échappé à une catastrophe. Il y a aussi une professeure de chant dont la silhouette s’avère si harmonieuse que l’on finit par comparer le bas de son dos au second mouvement d’un concerto de Mozart. Et puis, il y a un borgne qui jure qu’il voit mieux, dès lors qu’on lui place un œil de verre dans son orbite creuse. Comme quoi l’apparence modifie bien des perceptions…

Comme c’est bientôt Noël, je vous propose, sans supplément de prix, un autre poche sous les yeux.

Là, on quitte le climat méditerranéen pour la pluie froide de Dublin. Et comme si cela ne suffisait pas, on fait un saut temporel d’un siècle, pour nous retrouver à l’automne 1918, dans un hôpital qui manque de tout, de médicaments comme de personnel soignant. Il faut reconnaître que si la première guerre mondiale n’en a plus pour longtemps en cette fin de 1918, la grippe – que l’on n’appelait pas encore « espagnole » – a, quant à elle, de beaux jours devant elle. L’épidémie ne s’éteindra en effet que près d’un an plus tard. Entre-temps, elle aura fait plus de morts que les quatre années de guerre, décimant probablement jusqu’à 6 % de l’humanité.

Avec son roman « Le pavillon des combattantes », Emma Donoghue nous embarque auprès d’une infirmière chargée, avec des moyens dérisoires, de maintenir en état de marche, un service où ont été regroupées des femmes enceintes atteintes par la maladie. Donner la vie tandis que la mort frappe frénétiquement ne constitue pas le moindre des paradoxes, et cette maternité prend des allures de camp retranché face aux ravages de la pandémie.

L’infirmière a pour nom Julia Power. Comme si le seul pouvoir qu’elle possède était celui acquis avec son patronyme. Rapidement débordée par les complications qu’entraîne la grippe sur le corps de ces femmes épuisées, notre Julia se démène autant qu’elle peut. Pour atténuer autant que possible les souffrances de ses parturientes (pas de péridurale évidemment), voire pour éviter qu’elles ne succombent d’une hémorragie, d’une montée de fièvre ou d’une quinte de toux plus sévère que les précédentes.

Pour la seconder, l’hôpital ne lui envoie que la jeune Bridie, une orpheline bénévole n’ayant aucune formation médicale ou sanitaire, mais redoublant d’une bonne volonté et d’un courage qui forcent le respect.  Bridie ne connaît même pas son âge avec exactitude.

Elle a été ballottée de familles d’accueil en foyers tenus par des religieuses plus despotiques que des sergents-chefs. A l’image de Sœur Luke, la teigne de service, elle aussi infirmière, mais avant tout digne représentante de l’obscurantisme ici-bas.

Le parcours de Bridie fait inévitablement songer au superbe film de Peter Mulan, « The Magdalene Sisters » où l’on voyait tout le poids qu’exerçait la religion sur une société irlandaise, prisonnière du qu’en dira-t-on et d’une désespérante misogynie.

Une troisième femme, le docteur Kathleen Lynn, apporte par petites touches sa pierre d’humanité au fragile édifice que construisent, avec leurs trois bouts de ficelle, Julia et Birdie. Détail qui a son importance, Kathleen Lynn est recherchée par la police en raison de ses opinions indépendantistes, et de sa participation active à l’insurrection de la Pâques 1916. L’Irlande en 1918, est en effet pour trois ans encore une simple colonie de l’empire britannique.

« Le pavillon des combattantes » offre trois magnifiques portraits de femmes en lutte. Contre les tourments de l’existence et contre une société qui rechigne à se transformer. Un roman fort qui devrait passionner bien au-delà de la corporation des infirmières ou des accros à l’histoire contemporaine irlandaise.

Et pour la version « à écouter » de ce nouveau Des poches sous les yeux, vous connaissez le chemin, c’est vers le « pot de caste » de Radio G !, à portée de mulot. Cela démarre à 5’45, mais rien ne vous empêche – n’est-ce pas ! – d’écouter l’intégralité de l’émission.

                                                                                                

                                                                                             

2 commentaires sur « Des poches sous les yeux (n°6) »

  1. Jean-René y contribue peut-être un peu à sa façon, mais, va savoir pourquoi, j’ai surtout envie (besoin ?) de légèreté en ce moment … Merci pour ces conseils de lecture, je les note …. pour plus tard !

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