Une fois n’est pas coutume, cette chronique qui, comme vous vous en doutez, se consomme aussi en bouteille aux trois-quarts vide sur les ondes est exceptionnellement un peu plus emplie de bonne humeur que d’ordinaire. D’où ce léger sourire qui se dessine sur le bas de mon visage… et qui fait indéniablement son effet à la radio. C’est le fameux sourire radiophonique… Aussi, vous interrogez-vous, quelle est donc l’origine de cette bonne humeur ?
Pas de triomphalisme toutefois, cette bonne humeur n’est que relative. Je ne vais pas vous annoncer que j’ai pu renouer le contact avec James Bond, pour qu’il s’occupe enfin du locataire permanent du Kremlin. Si sur ce dossier-là, ça « Poutine » (pardon, ça « patine », toujours)… – C’est vraiment la plaie ces fautes de frappe ! – au moins, il y a un domaine où ça frémit positivement.
Et donc, ça frémit où ?… » êtes-vous tenté(e)s de me demander. Eh bien, dans la jeunesse, chère lectrice, cher lecteur. Dans notre belle jeunesse ! Vois-tu, lectrice, lecteur, en vieux débris que je suis, je percevais cet âge de l’humanité comme réfractaire à quitter le stade larvaire – ce cocon de l’adolescence – et uniquement motivé par le visionnage de séries télévisées ou par l’achat de tas de gadgets qui ne servent à rien, hormis au remplissage des poubelles, afin de donner à bouffer à de voraces incinérateurs. Oui, je le confesse, je voyais une jeunesse peuplée de fashion victims. Des filles et des gars qui incarnaient, en quelque sorte, la prolongation vivante de leur smartphone…
– Oh, là, là, les clichés !… » ne manquerait pas de m’envoyer dans les gencives, Kevin, mon neveu au sourire inégalable, dont je ne vous ai point parlé depuis longtemps.
Sans doute aurait-il raison !… Et puis, patatras ! j’ai révisé cette impression pas franchement euphorisante, après avoir eu devant les yeux une courte vidéo. La perte de repères chez les tontons de mon âge, c’est souvent destructeur, mais parfois, ça vous file une sacrée pêche !…
Donc une vidéo !… qui immortalise le discours collectif tenu par huit étudiantes et étudiants de l’école d’ingénieurs Agro Paris Tech, lors de leur remise de diplômes, le 30 avril dernier. Une vidéo rendue publique ce 11 mai, et qui depuis circule, telle une traînée de poudre, sur Internet. Une parole critique, libre, mordant à belles dents dans un ordre établi présenté comme immuable. Sauf que d’immuable, cet ordre établi est devenu tout bonnement « imbuvable ». Au moins pour ces jeunes gens. Dans leur propos, un doux arôme de révolte, et en fin de bouche, la délicieuse saveur de penser autrement. Ils et elles, ont su mettre les mots sur les maux d’une société qui part en vrille. Une société qui au mieux, continue de fredonner « Tout va très bien, Madame la Marquise ! » en regardant sombrer notre planète Titanic, et au pire, n’en a strictement rien à cirer, et qui continue cyniquement de piocher dans les réserves, parce que si ce n’est pas moi qui le fais, n’est-ce pas, ce sera un(e) autre. Morceaux choisis dans les propos de ces rebelles fraîchement diplômé(e)s :
« Agro Paris Tech forme des étudiants à travailler pour l’industrie de diverses manières : trafiquer des plantes en laboratoire pour le compte de multinationales qui asservissent les agricultrices et les agriculteurs, concevoir des plats préparés et ensuite des chimiothérapies pour soigner les maladies ainsi causées, développer des énergies dites vertes qui permettent d’accélérer la numérisation de la société, tout en polluant et exploitant à l’autre bout du monde ».
Voilà qui décoiffe, pas vrai ? !… Il est même probable que ce constat sans appel a dû défriser quelques brushings impeccables parmi l’équipe enseignante. Ah, cette ingratitude de la jeunesse ! On leur permet de faire des études supérieures, d’accéder potentiellement à des situations leur offrant un revenu confortable, et les voilà qui crachent dans la soupe ! Apparemment, la soupe aux OGM, ce n’est pas trop leur truc… ils et elles ne semblent pas non plus tenté(e)s de servir d’alibi à la filière agro-alimentaire, en jouant les pompiers… Et ils et elles enfoncent le clou :
« Nous ne voyons pas les ravages écologiques et sociaux comme des défis ou des enjeux auxquels nous devrions trouver des solutions en tant qu’ingénieur(e)s. Nous ne pensons pas que nous avons besoin de toutes les agricultures. Au contraire, nous voyons plutôt que l’agro-industrie mène une guerre au vivant et à la paysannerie partout sur terre. »
Voilà qui fera certainement plaisir au syndicat agricole majoritaire. Il est vrai que les termes « d’exploitants agricoles » annoncent la couleur. Ou la douleur, plutôt !…
Je reste en effet persuadé que les mots ne sont pas choisis au hasard quand on nomme une structure officielle, comme un syndicat, et donc, que l’appellation « d’exploitant » n’a rien de neutre. L’exploitation n’est pas de la simple gestion. J’ai du mal à croire que cette appellation n’ait pas été contrôlée…Mais revenons à nos turbulents petits jeunes. On les sent sacrément lucides. Ils n’hésitent pas d’ailleurs à pourfendre le greenwashing. Tu sais bien, lecteur, lectrice, ces mesurettes clinquantes dont on habille nombre de projets catastrophiques pour l’environnement et parfois la santé humaine, histoire de rendre présentable sur le papier ce qui ne le sera guère sur le terrain.
Et là, lectrice, lecteur, tu te demandes si je ne préfère pas le terme « Ecoblanchiment » à celui de « Greenwashing » ?
J’aime bien les deux, finalement. Le premier me fait songer à l’idée de trafic – un trafic qu’il est indéniablement – avec un soupçon de paradis fiscal en embuscade. Le deuxième est peut-être plus visuel par la coloration factice qu’il évoque. Non, les deux sont bien ! Mais foin de sémantique, reprenons, une petite dose de conscience estudiantine ! Moi, ça me fait du bien.
« Nous voulons vous dire que vous n’êtes pas les seul(e)s à trouver qu’il y a quelque chose qui cloche. Car il y a vraiment quelque chose qui cloche. Nous refusons de servir ce système, et nous avons décidé de suivre d’autres voies, de construire nos propres chemins. »
Quand je dis que ça me fait du bien. Je crois même que cela doit faire du bien à toutes celles et tous ceux qui n’ont pas un tiroir-caisse à la place du cerveau. Il y en a sûrement parmi vous, lecteurs, lectrices… Les paroles de cette jeune femme ne font pas dans la dentelle. Elles sont futées autant qu’affutées. En termes choisis, elle ne dit pas autre chose, avec fierté et courage, que : Vous ne nous aurez pas vivant(e)s ! ». Et tant pis pour vous, si vous nous prenez juste pour de doux rêveurs. Et l’on n’est pas loin de chantonner : You may say I’m a dreamer, but I’m not the only one... à la façon du père Lennon. L’on songe aussi à Milan Kundera qui pointait déjà, dans le titre de son second roman que : la vie est ailleurs.
Oui, la vie est ailleurs. Obstinément. Elle est un cadeau précieux que l’on ne peut dilapider dans l’escarcelle de marchands peu scrupuleux. Et s’il est vain de perdre sa vie en cherchant à la gagner, il est certainement plus insensé encore de perdre son âme dans des emplois, soit n’ayant aucun sens (les fameux (« bullshit jobs »), soit s’affichant comme carrément nuisibles.
Allez, en guise de conclusion, un appel, un vibrant plaidoyer pour arrêter de faire n’importe quoi :
Mais quelle vie voulons-nous ? Un salaire qui permet de prendre l’avion, un emprunt sur trente ans pour un pavillon, un SUV électrique, une carte de fidélité à la Biocoop, et puis, un burn-out à quarante ans !… Désertons avant d’être coincées par des obligations financières. »
Formidablement conscient, n’est-ce pas ? Tant il est vrai que l’endettement des ménages est tout de même un bon moyen pour éviter la rébellion. Le banquier s’improvise ainsi comme plus efficace encore que le CRS pour faire régner l’ordre établi évoqué précédemment. Donc, un vibrant appel à ne pas faire n’importe quoi comme boulot. Du sens avant tout ! » plaide cette jeunesse. Une notion que n’a pas franchement assimilée la majorité du patronat. L’attrait d’un emploi se résumant, pour le manager standard, au salaire et aux éventuels avantages sociaux que cet emploi peut offrir. En gros, deux mondes en parallèle, ayant peu de chance de se rejoindre. Même à l’infini.
Nous verrons si la jolie grenade dégoupillée par ces huit ingénieur(e)s portera ses fruits. En immonde taquin que je suis, j’attends de voir un phénomène similaire se produire… au hasard dans une prestigieuse école de commerce. Même si ces temples du formatage des esprits apparaissent plutôt réfractaires aux utopies.
Une version audio de cette humeur est évidemment disponible en allant promener vos oreilles sur le « pot de caste » de Radio G !.Cela commence à partir de 3’00 », mais il est conseillé d’écouter toute l’émission de l’ami Pierre-Benoît. Quant à l’intégralité de la vidéo, eh bien, vous l’avez ci-dessous :
Je partage pleinement la lucidité de ces jeunes et que tu analyses très bien dans tes propos. A titre personnel pour avoir fait prépa Agro j’étais admis à une école d’industies agro-alimentaire de Nancy. J’avais déjà senti en… 1980 les risques d’un tel métier. J’avais alors choisi une autre école moins « prestigieuse » sur un CV… Elle m’a permis d’exercer une carrière permettant d’agir au service de la santé environnementale… C’était une époque où You tube n’était pas né et où l’informatique se limitait à des cartes perforées…On n’imaginait pas non plus que durant les 40 années qui allaient suivre la réussite sociale de certains ferait d’eux des fossoyeurs de la planète. Le monde qu’ils ont construit est si diabolique qu’il porte en lui des forces capables comme les lobbies par exemple de nier la triste réalité. Seule une nouvelle jeunesse lucide peut peut être sauver ce qui peut l’être encore…