Les espèces menacées d’extinction

Que l’on ne s’y méprenne pas, je ne reprends mon bâton de pèlerin écolo, en dépit du titre de cet article !

Certes, ce titre pourrait laisser entendre que « Les espèces menacées d’extinction », ça sent bon la défense de la biodiversité. Néanmoins, lectrice, lecteur, il ne faut pas te fier aux apparences ! Les espèces dont il est question ici ne sont ni les ours polaires, ni les baleines à bosse, pas plus que bon nombre d’oiseaux ou de batraciens. Bestioles dont la survie n’a pas l’air de préoccuper outre mesure les décideurs du vaste monde. J’ai même parfois l’impression que si la biodiversité dans quelques années se résume aux punaises de lit et au moustique tigre, on s’en accommodera. Non, les espèces que j’évoquerai aujourd’hui sont celles qui nichent dans nos porte-monnaie.

D’ailleurs, toi qui me lis et qui es parfaitement connecté(e) à ton époque, as-tu, ne serait-ce qu’une poignée d’euros dans tes poches ?… Ah, ne me réponds pas :

Pas de chance, Tonton, je n’ai pas eu le temps de passer au distributeur. Je ne peux rien pour atténuer tes fins de mois difficiles.

Ma question n’avait rien à voir avec une prétendue tendance à la mendicité en ligne. C’était juste pour savoir si pour régler tes achats, lectrice, lecteur, tu restais fidèle à la monnaie sonnante et trébuchante, ou si tu avais basculé dans la modernité. Modernité qui n’est point avare de moyens de paiement parfois surprenants. Au moins pour le dinosaure que je suis. C’est ainsi que faire ses courses avec son téléphone portable me déconcerte et m’amuse à la fois. Même si, franchement, devant tout ce que permet désormais un téléphone, moi, je décroche…

L’idée de cette chronique m’est venue lors de la toute récente 34 ème édition des Hortomnales, la grande fête des courges. Eh bien, ce dimanche 22 octobre, je tenais avec d’autres bénévoles de l’Association du Prieuré de St Remy la Varenne, le stand du Marché aux Courges. Et j’ai constaté que nombre d’achats s’effectuaient par carte bancaire. Même pour de faibles sommes. Bien évidemment, ce n’est qu’une impression dont je n’ai pu vérifier la véracité, en raison de l’afflux constant d’acheteurs. Pourtant, il m’a semblé que près d’une emplette sur deux était réglée par carte bancaire. Une tendance qui ne fait que s’amplifier au fil du temps. 

Sur la base de ce constat un peu « vu de ma fenêtre », j’ai recherché quelques compléments d’information, afin de savoir si ce qui était vrai au Marché aux Courges de St Remy la Varenne l’était aussi dans le reste du pays. Ainsi, en 2019, il ressort qu’en France, les espèces restent le moyen de paiement le plus utilisé en magasin et entre particuliers, pour 59 % des transactions ; le règlement par carte bancaire n’en représentant que 35 %. Le reliquat de 6 % étant partagé entre le chèque et les nouveaux modes de paiement comme le paiement en ligne, via PayPal notamment. Paradoxalement, les Français demeurent les Européens qui continuent le plus à payer par chèque, même s’ils se sont rués sur les nouveaux modes de paiement – que je qualifierais « d’invisibles », mais pas pour autant « ni vus, ni connus ». J’y reviendrai.

La pandémie de Covid 19 a en outre facilité le recours au « sans contact ». De cette manière, l’on évitait de récupérer les mutants du précédent client avec sa monnaie pleine de microbes. Et chaque année, ce sont six milliards de paiements qui sont réalisés en France avec des cartes bancaires sans contact, soit près de 200 par seconde. Oui, je suis arbitrairement parti du principe que l’acheteur achète à toute heure du jour et de la nuit. Pour faire court, le sans contact est le moyen de paiement préféré des « bérets basques + baguettes de pain ». Ça, c’est pour les Etasuniens qui me lisent (il y en a peut-être) et nous voient toujours représentés comme juste après leur débarquement à Omaha Beach.

Cependant, même si le volume des achats en liquide reste majoritaire en France, il se trouve que seulement 9 % des Français préfèrent payer en espèces, alors que la moyenne est de 27 % dans la zone euro. Trois fois plus quand même !

En revanche, ce que je n’ai pas trouvé, c’est le pourcentage de nos concitoyens qui préfèrent être payés en espèces. En gros, les statisticiens n’ont pas songé à mesurer l’effet « vide-greniers » ou l’impact du « Bon Coin » dans les transactions entre particuliers. Il est vraisemblable que ledit particulier préfère encore courir le risque d’attraper la myxomatose ou la vérole en poudre, plutôt que de prendre celui de se retrouver avec un chèque en bois. Gérer les priorités. Avant tout, gérer les priorités…

Quoi qu’il en soit, il semble tout de même que le Tricolore, très souvent sourcilleux pour tout ce qui touche à sa liberté, ne fait pas grand cas du fait que son banquier, grâce aux paiements effectués par carte bancaire ou sur internet, est parfaitement informé de ses moindres faits et gestes en matière d’achats. Comme si nous avions renoncé à une part de confidentialité, en se disant qu’après tout, ce n’est pas si grave si notre banquier s’introduit autant dans notre vie quotidienne.

J’ai d’ailleurs bonne mine de pointer ce curieux travers, étant donné qu’il m’arrive très souvent d’acheter en sans contact… mon pain (je range alors mon béret basque au fond de ma poche, au cas où un touriste yankee passerait dans le coin). Parce que je n’ai quasiment jamais d’espèces sur moi, et que j’ai surtout la flemme d’aller en réclamer au distributeur. La fainéantise antichambre de la perte de liberté ? Que voilà un beau sujet pour le prochain bac philo.

Mais il est un aspect peut-être plus inquiétant encore avec ce repli progressif de l’usage des espèces.

Lequel ? » t’interroges-tu soudain, amie lectrice, ami lecteur.

Eh bien, additionnée à l’omniprésence de l’internet dans nos existences, le recul de l’usage des espèces qui pourrait aller jusqu’à leur disparition, est un moyen supplémentaire de créer de l’exclusion. Tu as certainement remarqué que si tu souhaites voyager à partir de n’importe quelle plateforme de covoiturage, ça devient très compliqué, si tu n’as ni téléphone portable ni carte bancaire. Le jour où plus aucune transaction ne pourra se faire avec de l’argent liquide, que fera-t-on de celles et ceux – trop vieux ou trop pauvres – pour qu’ils et elles puissent continuer à vivre dans une société où tout se paie ? Bonne question, pas vrai ?

Pour le moment, nous n’en sommes pas là, et si l’on veut de l’argent liquide en cette fin octobre, rien de plus facile. Il suffit de placer dehors un billet de 10 €. En moins d’une minute, il ne sera même plus liquide, mais détrempé !…

Et puis, comme d’habitude, pour profiter de la version dialoguée avec l’ami Pierre-Benoît de cette « Bouteille aux trois-quarts vide », rien de plus simple, il te faut, lecteur, lectrice, aller faire un tour par ici. Cela démarre à 5’30, mais il est conseillé, bien sûr, d’écouter toute l’émission.

                                                                              

1 commentaire sur « Les espèces menacées d’extinction »

  1. Hostile au sans contact, pour des raisons essentiellement « rebelles » (ô liberté, liberté chérie), j’en suis devenue une adepte depuis la Covid. Plus pour protéger les commerçants de l’accumulation des risques que pour conjurer mes propres peurs. Comment en effet ne pas considérer l’augmentation du risque pour les caissiers, les caissières, qui était confrontés toute la journée aux ferrailles potentiellement contaminées de leurs concitoyens ?
    Bref, de cet élan humaniste (si, si …) est né un beau splash de feignasse : c’est quand même bien pratique, ces conneries !!
    Ce qui mérite, à mon avis, toute notre vigilance, voire notre résistance, c’est le diktat du smartphone (dernière génération et avec connexion internet), sans lequel le moindre voyage devient quasiment impossible. Je viens d’en faire l’expérience, et même si j’ai vaincu la bête et le système, par une obstination poussée jusqu’à la bêtise assumée, j’avoue que ce combat m’a laissée exsangue, mais non sans colère. La prochaine fois, il est cependant possible que je plie 🙁

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