J’ai choisi de revenir aujourd’hui sur un sujet qui s’est implanté durablement dans nos vies, et dont on ne parvient pas à se débarrasser. Un peu à l’image du sparadrap du Capitaine Haddock. Les Tintinophiles voient à quoi je fais allusion.
Non, je ne vais pas évoquer la plus célèbre des productions chinoises. La seule d’ailleurs qui s’obstine à ne pas tomber en panne, alors que d’ordinaire, en moins d’une semaine, le made in China passe sans réelle transition, de la boutique à la poubelle. Non, je veux évoquer aujourd’hui une notion importée des États-Unis, j’ai nommé : le « politiquement correct ».
Déjà, il pourrait s’avérer tentant de gloser sur l’association de ces deux termes ; réunir « politique » et « correction » ayant le don de faire sourire, voire de déclencher l’hilarité par excès d’incompatibilité. Vous vous dîtes alors, lecteurs, lectrices :
– Mais par St Balkany et St Cahuzac, où veut-il donc en venir, notre Tonton Albert ?
Je souhaite simplement t’amener, lectrice, lecteur, à t’apercevoir que, par paresse ou par docilité, nous avons laissé s’installer un principe qui conditionne notre façon de faire de l’humour jusqu’à ce qu’insidieusement, nous en soyons venu(e)s à pratiquer l’autocensure avant de rigoler de quoi que ce soit. Oui, c’est cela qu’il y a de subtil avec le politiquement correct, c’est que pour éviter les mauvais procès, l’on en arrive à prendre les devants au cas où un susceptible procédurier passerait dans le secteur. Faut-il donc que notre monde aille mal pour que l’on déniche autant de potentielles victimes à chaque coin de rue ?… Des victimes souvent autoproclamées comme telles, qui n’attendent qu’une opportunité pour vous traîner en justice et ainsi espérer récupérer un peu de monnaie. Certes, les fins de mois sont difficiles pour tout le monde, mais de là à considérer les Tribunaux comme une annexe de la loterie ou un vulgaire PMU, cela me semble un rien gonflé.
Ouh là, prudence, avec ce genre de propos, il faut que je me méfie : tous les buralistes vont vouloir me voir casser ma pipe ! Mais revenons aux Tribunaux. Je suis pour le moins stupéfait d’observer que la Justice estime recevables des plaintes vis-à-vis desquelles le plus élémentaire bon sens exigerait des geignards qui les déposent, a minima d’argumenter le contenu de leurs pleurnicheries. En gros, les tribunaux s’encombrent eux-mêmes avec des affaires pour lesquelles la corbeille à papiers devrait être la destination finale.
Les affaires ayant trait aux susceptibilités religieuses en incarnent un bon exemple. Déjà, que la Justice s’estime compétente pour statuer sur ce type de question, alors que nous vivons dans un pays prétendument laïque interroge. Cela revient de fait à remettre au goût du jour le délit de blasphème, dont paraît-il, nous nous sommes affranchis avec la Révolution Française. St Paradoxe, priez pour nous !… Ensuite, qu’un être immatériel, dont l’existence reste à prouver, trouve des avocats pour s’offusquer et réclamer réparation en son nom, achève de charger la barque. Au passage, l’on se souviendra que jadis une ribambelle de dieux peuplaient la spiritualité des humains. Que sont ces divinités devenues ? C’est à croire qu’une compression massive de personnel s’est opérée chez les polythéistes, pour que l’on se retrouve aujourd’hui avec un dieu unique – mais à identités multiples – et de surcroît pas commode. Il peut d’ailleurs être tentant d’avoir le point de vue de Tonton Georges sur le sujet.
En résumé, qu’il soit invoqué au nom du respect dû à toute forme d’obscurantisme, ou pour se préserver du courroux des minorités les plus chatouilleuses, le politiquement correct a déplacé le curseur en matière de tolérance. Désormais, il faut bel et bien appartenir à telle catégorie de la population ou à telle corporation, pour avoir voix au chapitre, si l’on souhaite émettre, ne serait-ce qu’un vague commentaire, sur les comportements desdites catégorie ou corporation. En extrapolant à la politique menée par certains états, c’est ainsi que toute remarque formulée à propos de l’état d’Israël vous vaut immanquablement d’être catalogué(e) comme antisémite. En somme, « Hors de l’appartenance au clan, point de salut ! »…
Notre monde des humains, qui est de moins en moins drôle, en rajoute donc une couche avec le politiquement correct, en enfermant les gens dans des cases de plus en plus exiguës. Si demain je veux raconter une blague de blonde, il me faudra passer :
a) Chez le coiffeur pour une teinture
b) Chez le chirurgien pour le remplacement de mon sexe d’origine
Voilà qui rend la plaisanterie à la fois onéreuse et porteuse de choix pour le moins définitifs.
Et puis, une fois que l’on est bien au chaud dans sa tribu, il ne reste plus qu’à regarder autrui comme un ennemi potentiel. Et ce sera d’autant plus facile que cet autre sera un parfait inconnu, car n’appartenant pas au cercle restreint de son petit monde à soi. Pour faire court, pour ne plus tenter d’amorcer des paranoïas à un euro le kilo, l’on exacerbe les tensions grâce au politiquement correct. Et au final, l’on conforte en leur déroulant le tapis rouge, ces communautarismes dont on dit par ailleurs le plus grand mal, car ils minent les fondements du sacro-saint « vivre ensemble ». La France serait-elle un pays schizophrène ?…
En évinçant progressivement toute forme d’humour non consensuelle, en éliminant toute notion de complexité, en créant de toutes pièces un monde binaire, le politiquement correct fait un triomphe au 1er degré, et par ricochet à la bêtise la plus crasse. Pourtant, l’on a un immense besoin de rire. Tout simplement parce que comme le soulignait Jean-Michel Ribes, le directeur du théâtre du Rond-Point, « le rire est libérateur. C’est une arme démocratique destinée à lutter contre toutes les formes de tyrannie. »… Et puisque j’évoquais ci-dessus Révolution Française et tyrannie, je me demande si la question subsidiaire dans tout ce délire ambiant n’est pas :
-Mais sacrebleu, qui donc a éteint les Lumières ?… »
Bref, si la judiciarisation de la société s’amplifie encore d’un cran, je pense qu’il ne me restera plus guère d’autre possibilité que de raconter des blagues sur les Martiens. Le temps qu’ils me fassent un procès en diffamation, j’ai le temps de voir venir.
Ou alors, j’ai encore une autre solution. Devant cette abondance de verrous qui se ferment à triple tour devant la liberté d’expression, l’autre éventualité consisterait à faire des blagues sur moi-même. Ceci présenterait un sacré avantage : le risque d’être traîné devant les tribunaux serait réduit à néant. Fatalement.
Encore que je pourrais peut-être m’estimer choqué, outré, par mes propres propos et exiger moi-même réparation. Et si je m’inspire d’Arthur Rimbaud, et de son « Je est en autre », l’hypothèse n’apparaît pas totalement farfelue.
Comme très souvent, la version audio de cette humeur est également disponible sur le podcast de Radio G ! Cela démarre à partir de 9’40 », avec la complicité d’Annely.