La tâche suggérée par le titre de cette humeur risque en effet de s’avérer ardue. Pour tout dire, elle relève franchement de la mission impossible. Vous allez comprendre pourquoi dans quelques instants.
Mais avant cela, une précaution s’impose : je vous invite, lectrices, lecteurs, à éloigner les mirettes les plus chastes qui pourraient se trouver près de vous. Car je vais devoir employer, pour la parfaite assimilation de mon message, des termes pas vraiment châtiés. Pour tout dire, certains de ces termes relèvent davantage du vocabulaire de l’automobiliste énervé – ce charretier des temps modernes – que du langage usuel du Saltimbhoucq ordinaire. Suis-je suffisamment explicite ? Les âmes sensibles ont-elles bien été neutralisées ? Je peux commencer ?…
Alors, c’est parti. A mon tour, je vais évoquer une anecdote qui a déjà été relayée par divers médias. Oui, je ne vous offre pas un scoop, mais une vision personnelle d’un incident. Figurez-vous que Facebook – l’un de ces GAFAM qui ont envahi notre quotidien – a mis en œuvre une sorte de règlement intérieur particulièrement rigoriste, voire pudibond, qu’il applique à ses adhérents. Le credo de ce géant d’Internet peut se résumer ainsi :
– Pas de cochonneries chez nous ! ».
Petit aparté : cela ne dérange pas du tout Facebook d’héberger les cinglé(e)s de la National Rifle Association, ce regroupement des maniaques de la gâchette qui fait régulièrement parler de lui, à chaque tuerie perpétrée à coups d’armes de guerre, dans telle école ou tel centre commercial aux Etats-Unis. En somme, pour les pères La Morale de chez Facebook, il reste toujours plus obscène et intolérable d’entrevoir une paire de seins sur un écran d’ordinateur, que de tirer sur ses concitoyens avec un fusil d’assaut. Je clos l’aparté.
Bref, lorsque vous créez votre page Facebook, vous acceptez implicitement ces règles qui proscrivent, entre autres, l’emploi d’éventuels « gros mots ». Ce que n’avait pas intégré une commune de Moselle. A aucun moment, les élu(e)s de cette riante bourgade de Lorraine n’ont imaginé que le nom de leur ville pouvait choquer… l’algorithme de Facebook. Comment s’appelle donc cette ville ? » me direz-vous.
La réponse est « Bitche ». Ce qui peut être traduit en bon français par « salope ». Nous y voilà. Je précise que « Bitche en Moselle » prend un « e » que l’on ne retrouve pas dans l’injure anglo-étasunienne. Qu’à cela ne tienne, à une lettre près, le nom de cette ville « bien de chez nous » constitue une insulte pour les Tartuffe d’Outre-Atlantique. Gravissime ! Aussi, parce que contrevenant aux règles définies par le réseau « soi-disant social », le compte Facebook de la ville de Bitche a été, purement et simplement, désactivé. Pas mal, non ? L’on peut par conséquent en déduire que ce n’est pas parce que vous êtes milliardaire – et donc « pété de thunes » – que cela dope vos facultés de discernement. Tiens, j’aimerais savoir ce que hurle le PDG de Facebook, quand il manque le clou et se tape sur les doigts avec un marteau. Bah, il ne doit pas bricoler, le PDG de Facebook…
Bon, l’éviction n’a pas duré plus d’un mois, le temps qu’un humain, un peu plus censé qu’un algorithme, et sous la pression insistante de la commune de Bitche, prenne conscience de la bévue et la corrige en rétablissant la page supprimée. Facebook France a ainsi admis, dans le cas présent, une “analyse incorrecte de la part de ses systèmes” (sic). En somme, de « GAFAM », Facebook est devenu gaffeur.
Cette histoire me fait songer aux débuts de l’informatique. Si vous avez moins de quarante ans, vous n’avez pas connu cette époque. En ces temps reculés, lorsque votre dossier dysfonctionnait dans un service public quelconque, on vous répondait invariablement que c’était la faute de l’informatique. On oubliait de vous indiquer que le joyeux bazar auquel vous étiez confronté(e), était en fait imputable à un agent incompétent qui avait mal rentré vos paramètres dans ce foutu ordinateur. Dans le cas présent, j’ai l’impression que nous sommes un peu revenus à ces temps quasi-préhistoriques.
Et puis, ce qui est ici révélateur, c’est cette revendication clairement assumée de penser la langue de Donald Trump comme unique. Pour Mark Zuckerberg et son réseau prétendument social, il n’existe pas plusieurs milliers de langues au monde, et encore moins d’idiomes du village, mais juste l’anglais. D’où cette attitude visant à autoproclamer Facebook détenteur du pouvoir suprême d’estimer ce qui est acceptable ou ne l’est pas.
Et je me dis que la mésaventure qui est arrivée à Bitche pourrait bien se répéter pour d’autres communes de France. Au hasard, je songe à Condom, dans le Gers. Une ville qui suscite régulièrement la bonne humeur chez les jeunes potaches Anglais de passage, qui se font photographier, hilares, devant le panneau d’entrée de la ville ; « condom » signifiant – faut-il le rappeler – « capote ». Ah là là, Monsieur Facebook, vous imaginez cette incitation flagrante aux ébats sexuels ! Ces cocoricos, vraiment, que des débauchés !
Heureusement d’ailleurs, Monsieur Facebook, que vous ne parlez pas notre langue de bouffeurs de grenouilles, car les mises à l’index pleuvraient alors sur nombre de patelins. J’en ai sélectionnés quelques-uns.
Commençons par Sainte-Verge dans les Deux-Sèvres, puis poussons jusqu’à Deux-Verges dans le Cantal, allons ensuite au contact de Saligos dans les Hautes-Pyrénées, et enfin remontons dans la Nièvre, pour nous promener à Poil.
Évidemment, il n’y a pas que ce côté olé-olé dans la toponymie franchouillarde ; notre légendaire propension à l’entourloupe l’a également influencée. Voyez plutôt :
Arnac la poste, dans la Haute-Vienne. Vous croyez que c’est joli de ne pas affranchir son courrier au tarif en vigueur ? Et que dire de cette commune du Maine-et-Loire, parfaitement, ici, en Anjou, où l’on a la fâcheuse habitude de Grugé-l’Hôpital ! En pleine épidémie ! Si ce n’est pas malheureux ! Et puisque je parle d’épidémie, il m’est difficile de passer sous silence, la suggestion que prône une ville de la Manche qui s’appelle Hébécrevon.
Si ce n’est pas du défaitisme, un nom pareil, je ne sais pas ce qu’il vous faut. Vous voyez, Monsieur Facebook, les Français sont décidément de bien mauvais citoyens sur lesquels votre courroux divin ne peut que s’abattre… Mais au fait, cela me revient soudain, en indécrottable Gaulois que je suis, « Facebook », phonétiquement, dans la langue de Rabelais, cela m’évoque irrésistiblement l’arrière-train d’un animal hautement symbolique autant qu’infréquentable. Une représentation autant lubrique que satanique. Roooooh, mais ce n’est pas glorieux du tout, ça, Monsieur le chef de la censure mondiale !…
Comme d’habitude, vous avez la possibilité de découvrir la version audio de cette humeur en allant faire un tour sur le « pot de caste » de Radio G !. Cela commence à 7’44 », mais vous pouvez aussi écouter la suite.
Sans oublier ce charmant village de « Montcuq » dans le lot, tant apprécié par Monsieur Daniel Prévost !
Un anglais de passage a certainement dû dire « I am shocking ».