Le nouveau rapport Planète vivante du Fonds Mondial pour la Nature (« WWF » pour les adeptes de la version originale en anglais) est paru à la fin 2022. Sans surprise, il révèle une accélération de la perte de biodiversité au niveau planétaire. Tu me diras, ami(e) lecteur/trice, à côté de la pénurie de moutarde dans les supermarchés, et des difficultés rencontrées ces derniers temps pour trouver du gas-oil, l’érosion de la biodiversité, franchement, on s’en contrefiche un tantinet. On devrait cependant s’en préoccuper davantage.
Car pour faire court, moins on a de biodiversité, plus l’équilibre naturel devient précaire. Faute de concurrence, des espèces invasives (je ne parle pas de la nôtre !) peuvent s’imposer et accélérer le déséquilibre. Voire favoriser l’apparition de nouvelles pathologies. Le développement du moustique tigre dans notre douceur angevine en fournit un aperçu. Mais aussi, moins on a de biodiversité, plus on menace, à plus ou moins brève échéance, l’approvisionnement alimentaire de l’humanité. Rien que ça.
En gros, moins on a de variétés de cacao, plus on a de chances de se retrouver chocolat !
As-tu, par exemple, lectrice, lecteur, une idée du nombre d’espèces végétales cultivées dans le monde à des fins alimentaires ?… Pas d’inquiétude, tu ne participes pas à une quelconque ineptie télévisée…
A la louche, tu dirais plusieurs milliers… Et tu serais dans le vrai. L’humanité en cultive 6 000. Sauf que sur ce socle confortable qui a tout de la corne d’abondance, la bagatelle de 9 d’entre elles fournit les deux-tiers de la production alimentaire mondiale. L’éventail des possibles n’est donc qu’apparent et se réduit comme peau de chagrin. Mais il y a encore mieux – si j’ose dire – en allant sur le versant carné de l’alimentation humaine. On s’aperçoit en effet que sur les 40 espèces animales domestiques, ce sont 8 d’entre elles qui assurent 95 % de la production alimentaire mondiale. La bonne nouvelle, c’est que l’on peut se passer de cuisiner du pangolin. En bref, pour se nourrir, l’humanité a la fâcheuse tendance à mettre tous ses œufs dans le même panier, au mépris de la plus élémentaire sagesse populaire…
Le risque, bien évidemment, c’est qu’une maladie s’en vienne décimer ces espèces surexploitées et de moins en moins diversifiées, avec pour conséquence, la raréfaction – sinon la disparition – de la ressource alimentaire. On l’aura compris, il faut absolument préserver la biodiversité.
Et on n’en prend pas franchement le chemin ! Rien qu’en Amérique du Sud, l’Indice Planète Vivante, qui sert de référence à la mesure de la biodiversité, a chuté de 94 % depuis 1970. Une broutille. Vive les effets de la déforestation sur le poumon vert amazonien, dont 26 % de la surface auraient déjà disparu de manière irréversible. Comme quoi se goinfrer de pâte à tartiner riche en huile de palme stimule le vrombissement des tronçonneuses au fin fond du Brésil.
Un autre exemple ?… Les populations de toutes les bestioles vivant en eau douce ont décliné de 83 % en cinquante ans. Bientôt, la matelote d’anguille n’incarnera un délicieux souvenir que chez les centenaires.
Là, tu te dis, toi qui lis ces lignes : D’accord, en Amérique du Sud, c’est calamiteux. Des esprits aussi éclairés que M. Bolsonaro ne peuvent pas parvenir tout seuls à inverser la tendance… Mais chez nous, on est bien plus vertueux, non ? »
Oui, en France, on ne fait pas n’importe quoi. On a à cœur de protéger même la biodiversité ordinaire. Et il y a pour ça, des lois, le Code de l’Environnement, etc… Quand par exemple, tu veux créer une énième zone commerciale, parce que tu estimes, en tant qu’élu, que tu n’as pas assez bétonné ta commune, et que la part réservée à la bagnole dans l’espace urbain n’est pas encore suffisante, eh bien, avant de faire intervenir le moindre bulldozer, tu prévois un inventaire de biodiversité. Tu missionnes par conséquent un bureau d’études spécialisé en environnement.
Une fois le diagnostic effectué par ces gens dont la compétence n’est plus à démontrer, si par malheur, l’on découvre qu’une espèce protégée – genre oiseau insectivore qui rend de précieux services à l’agriculture – a la malencontreuse idée de nicher sur l’emplacement de la future – autant qu’indispensable – zone commerciale, que fait-on ?…
Eh non, aimable Candide, on n’annule pas le projet !… (voir ci-dessus). Dans ce cas, on met en place des mesures compensatoires. Comme celle consistant à inviter les zoziaux à aller fonder une famille plus loin. Un écriteau sera placardé devant leur ancien domicile leur signifiant l’avis d’expulsion pour cause de progrès en marche, et leur indiquant que la municipalité leur a « déniché » (celle-là, Tonton, tu n’étais pas obligé de la faire !) une nouvelle villégiature à un bon kilomètre à vol d’oiseau. D’accord avec la station d’épuration pour voisinage. En gros, les passereaux sont désormais aussi bien considérés que les Gens du Voyage qui, régulièrement, bénéficient de cette proximité avec la station d’épuration, par rapport à l’aire d’accueil qui leur est réservée. Je ne sais pas si vous mesurez l’avancée écologique !… C’est quand même autre chose que ce que font les Brésiliens !…
Autre gros avantage, la station d’épuration est bien indiquée, et les caravanes, ça se voit de loin, le site sera donc facile à trouver pour nos amis à plumes.
Bon, qu’ils fassent quand même attention en traversant la rocade à basse altitude ; les chauffeurs/ards n’ont pas été informés de la migration des bruants des roseaux et autres cisticoles des joncs vers leur nouveau territoire (voir ci-dessous).
Et puis, comment ça, un bon kilomètre à vol d’oiseau c’est loin ? Ah là là, on se met en quatre pour vous proposer des logements décents, et voilà comment vous nous remerciez ! Ah ne me parlez plus de préservation de la biodiversité !…
Les quelques morceaux choisis extraits de cette étude d’impact emblématique montrent – s’il était besoin – combien le déclin de la biodiversité préoccupe les bétonneurs de ce pays.
Vous commencez à maîtriser le principe : la version « causerie » de cette humeur est évidemment accessible en cliquant sur le lien ci-dessous qui vous mènera au « pot de caste » de Radio G !. Cela commence à 3’40 », mais je vous invite à écouter bien sûr la totalité de l’émission. D’autant que – ironie du sort ! – l’association France Nature Environnement en était l’invitée.
Gloup ! Encore une difficile à avaler… Mais pour ce qui est de ta plume, toujours aussi percutante et incisive.