L’imparfait de notre présent

Lectrice, lecteur, j’ai une question à te poser. T’arrive-t-il de cuisiner ?

Bien. Puisque tu cuisines, j’imagine que tu t’es nécessairement trouvé(e) confronté(e) aux limites d’une plaque de cuisson. Ah, la plaque de cuisson !… Quel progrès, pas vrai ! Non ?… Par rapport au trou dans le sol délimité par un cercle de cailloux, ou même comparée au brasero, c’est tout de même autre chose ! Mais il est vrai que l’on bute rapidement sur les limites physiques de l’équipement.

Et pourtant, quand on regarde une plaque de cuisson dotée de cinq feux (là, je te décris la mienne !), l’on se dit : Tranquille, je peux cuisiner sans problème pour tout le quartier, car je dispose de cinq feux pour y poser mes casseroles et/ou mes poêles – non pas à gratter, mais à frire.

Sauf que très rapidement, les choses se compliquent. Tout simplement, parce que je peux avoir l’idée saugrenue d’utiliser simultanément trois des cinq feux disponibles. Et là, quand tu as cinq feux à ta disposition, paradoxalement, ça ne le fait pas… à moins que le diamètre de tes gamelles ne soit proche de celui d’un dé à coudre. Parce que sinon, eh bien, ma fille, mon gars, ça s’entrechoque, ça se pousse sur la plaque de cuisson ! Autant que dans le métro aux heures de pointe. Jusqu’à friser la sortie de piste, pour peu que la poêle atteigne la largeur extravagante de 31 cm, et que la casserole flirte avec les 25 cm de diamètre.

Ricanez tant que vous voulez, vous qui me lisez, en pensant que j’exagère. Vous ferez moins les malins, quand vous mettrez, ne serait-ce que deux crêpières côte à côte, à l’occasion de la chandeleur. Et ça tombe bien, c’est ce soir. Je regroupe les cours et les TP. Vous notez que je rationnalise mes chroniques…

Tout ceci pour te dire, lecteur, lectrice : A quoi cela sert-il donc d’équiper des plaques de cuisson de cinq feux, s’il est matériellement impossible de les utiliser tous en même temps ? La question mérite en effet d’être posée. L’important consisterait-il à avoir, non pas le confort, mais l’illusion du confort ? Il me semble d’ailleurs que ce constat s’applique aussi au-delà de la cambuse.

Combien de fois déjà ne me suis-je pas dit : mais sacrebleu, comment se fait-il que ce machin soit aussi peu fonctionnel ? Dans les situations les plus irritantes, il m’arrive même de maudire jusqu’à la quatorzième génération le soi-disant ingénieur – aussi ingénieux que moi je suis archevêque – qui a conçu ce bazar. Celles et ceux d’entre vous qui ont déjà cherché à remplacer une ampoule de phare grillée sur leur bagnole savent de quoi je parle. Il faudrait parfois posséder une main d’enfant capable de tourner à 360 degrés pour y parvenir. Si vous ne remplissez pas ces critères assez peu répandus – reconnaissons-le – dans la population d’automobilistes adultes non-contorsionnistes, vous risquez fort de vous arracher la peau du dessus de la main ou de la coincer, votre menotte, dans tout ce fourbi. Et vous vous dîtes alors : mais pourquoi diable, n’ai-je donc pas songé à déposer le moteur, ça aurait rendu le phare beaucoup plus accessible ?

En un mot comme en cent, l’on se demande légitimement si les cerveaux – assurément brillants – qui élaborent ces produits destinés à être utilisés au quotidien par des millions d’individus :

Petit 1 : se servent, eux aussi, de leurs foutus produits (et dans cette hypothèse, seraient-ils masochistes ?)

Petit 2 : prennent conscience que des millions de gens donc, sont appelés à utiliser dans des conditions souvent très moyennes, voire exécrables, ce qu’ils concoctent ?

J’ai souvent l’impression que l’idée de répondre à cette seconde question ne les a pas effleurés une seule seconde ; le but de la manœuvre – le « deal », comme on dit, quand on est parfaitement bilingue français/marketing – étant de vendre un produit, le fait consistant à s’en servir devenant lui, purement accessoire, sinon anecdotique.

Et ce n’est sans doute pas un hasard si, de nos jours, l’essentiel de nos biens de consommation provient de Chine. Des objets qui sitôt produits, sont aussitôt promis à la poubelle. Un peu à l’image des humains qui les fabriquent d’ailleurs, tant il est vrai que la main d’œuvre autant locale que low cost, docile et corvéable à merci, s’avère interchangeable dans ce beau pays aux notions démocratiques si particulières.

Ah tiens, puisque je parle de démocratie, je ne résiste pas à l’envie d’évoquer la résolution adoptée le 20 janvier dernier par l’Assemblée Nationale, à la quasi-unanimité des député(e)s présent(e)s. Une résolution dénonçant le génocide de la population Ouïghour effectué par le régime de Pékin. Que l’on se rassure tout de suite : le texte voté n’a pas de portée contraignante. C’est une simple résolution, pas la « révolution » ! Comme quoi, une malheureuse petite consonne peut changer pas mal de choses !

Pour faire court, le geste est symbolique. Pékin va faire mine de paraître outragé (c’est le jeu diplomatique, ma pov’ Lucette !), mais ne va pas s’arrêter pour autant de torturer et de génocider en rond. Les traditions avant tout, la Chine est un pays de traditions ! Et nous, en tant qu’inventeurs des Droits de l’Homme, avons montré au monde entier que nous restions vigilants sur ces questions-là, scrogneugneu !

Alors, admettons que l’on se fâche tout rouge, et que l’on dise aux Chinois que s’ils n’arrêtent pas de massacrer les Ouighours, eh bien, on ne leur achètera plus leurs masques chirurgicaux ! Au-delà de la dose d’improbable contenue dans l’hypothèse, j’imagine déjà l’éclat de rire pékinois. Oui, j’ai déjà vu des pékinois montrer les dents… Comment un client parmi tant d’autres oserait-il menacer son fournisseur ? Un fournisseur en situation de monopole ? Un monopole, cela sert précisément à cela : cela vous met à l’abri des surprises.

Je disais juste avant, que ce texte de portée symbolique, mais qui a tout de même le mérite d’exister, avait été voté par presque tou(te)s les député(e)s présent(e)s dans l’hémicycle, ce 20 janvier. Un seul a voté contre. Il s’agit d’un député de la majorité… élu du XIIIème arrondissement de Paris. Ben oui, quand on est député du quartier chinois et à quelques mois des élections législatives, il est évident que préserver son siège de député, ça pèse autrement plus lourd que défendre les droits humains. Celles et ceux qui croyaient que les député(e)s s’étaient affranchi(e)s de tout clientélisme en seront pour leurs frais.

Mais plus surprenant encore, fut l’attitude des parlementaires de La France Insoumise C’est l’abstention qui les a séduit(e)s. Quel type d’argument peut-il bien légitimer de s’abstenir, face à de telles atteintes à la condition humaine ? Ce n’est plus La France Insoumise, cela devient La France Insipide. En tout cas, c’est à se demander si pour certains représentants de la nation, le respect des Droits Humains, ça n’est pas tout simplement… du chinois.

Et la version audio de cette modeste humeur est bien sûr écoutable sur le « pot de caste » de Radio G ! Cela commence à 1’55 », mais je vous encourage à écouter l’intégralité de l’émission

1 commentaire sur « L’imparfait de notre présent »

  1. Cette chronique, écrite le 8 février, ressemble déjà à un yaourt un peu périmé !!!! Car depuis, c’est le gaz et le blé qu’il est de bon ton de boycotter et là, c’est une autre affaire.
    1/ pour le gaz, les échanges continuent puisque les systèmes de flux financiers qui les permettent ne sont pas concernés par le blocage du code SWIFT ce qui fait que malgré nos hauts cris indignés nos pays continuent de payer à la Russie et à l’Ukraine de quoi financer leurs armements respectifs (et puis, alors que les gens crèvent sous les bombes ou en exode, faudrait pas qu’on ait trop froid au cul l’hiver prochain, hein ? question de priorités …)
    2/ pour le blé, c’est surtout sur les pays d’Afrique que ça va tomber, oui, oui, ces pays en voie de développement, comme on dit avec un optimisme feint, ceux là même qui étaient déjà bien en peine pour nourrir toute leur population. La bonne nouvelle, c’est que, eux, ne seraient pas impactés par le boycott des masques ni même par celui des vaccins, vu qu’ils n’en ont pas non plus ….

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