A-coup fan 7 décembre 2023

Mon cher Michel, je te propose de continuer sur cette thématique de la dinguerie universelle que j’ai abordée la dernière fois, et qui par ailleurs, semble avoir le vent en poupe en cette fin d’année. Auditrice, auditeur, je te suggère même de rester à l’écoute pour l’émission suivante – à savoir Topette ! – car je compte bien poursuivre sur ma lancée, avec la « bouteille aux trois-quarts vide » que j’y livrerai, dans une petite heure.

Ceci étant précisé, la dinguerie du jour s’avère d’un genre particulier, puisqu’elle est toute chargée de poésie. Eh oui, mon bon Michel, qui ne commettrait point quelque folie pour un peu de poésie ?!… Et cela tombe rudement bien, car j’ai exactement dans ma modeste boutique, l’article qu’il nous faut. En quelque sorte, j’ai choisi de prendre à contrepied, notre démence planétaire pour me concentrer sur une folie individuelle. Je sais, c’est juste l’inverse d’une démonstration mathématique qui consiste à vérifier que ce qui est vrai pour le cas particulier, l’est aussi pour le cas général.

Donc, intéressons-nous à quelqu’un qui n’a plus toute sa tête, ou plus exactement, qui abrite plus de monde qu’il n’en faudrait dans ladite tête. Et fatalement, ça se bouscule quelque peu dans cet espace un tantinet restreint qu’est la boîte crânienne. Celles et ceux d’entre vous qui ont connu, à la faveur de nos années Covid, les temps joyeux des confinements en appartement, voient tout de suite à quoi je fais référence.

Là, présentement, je vous invite à me suivre dans l’une des cellules capitonnées d’un hôpital psychiatrique pour y découvrir la pauvre âme qui y réside. Non, je ne vous parle pas de M. Poutine qui ne prend plus ses gouttes ; lui, est toujours en course dans « les fous sont lâchés ! »…

La protagoniste de cette belle et triste histoire mise en musique par Hélène Argo, alias « La Réjane », est une jeune femme. Claquemurée dans un monde réduit, dans un univers qui s’est ratatiné à l’échelle des quatre murs, doux comme des brebis dont la toison épaisse éponge sa rage.

Quatre murs donc qui abritent de la pluie, des gifles du vent, de la vie. Oui, des murs pour se protéger de la vie. Pas banal, n’est-ce pas ?… Des murs qui tanguent parfois, quand survient la crise, jusqu’à ce que le tournis s’arrête, figé net par une double dose !

Pourtant, même cloîtrée, l’évasion reste possible. Et elle n’est pas obtenue par la voie chimique, cette évasion. Non, il suffit d’attendre la tombée du jour pour que le voyage dans l’espace et dans le temps puisse s’accomplir, et conduire jusqu’à Babylone. Rien de moins !

Babylone où notre protagoniste devient une noble reine au regard morne, menant deux vies distinctes pour la même personne. Pour enfin accéder à l’échappatoire tant désirée. Vers les défunts jardins suspendus de la cité antique, comme un écho à cette vie, elle aussi suspendue.

Babylone, Babylone, tu déconnes ! » chantait autrefois le bluesman Bill Deraime. Certes, il est vraisemblable que « Babylone » soit une notion qui relève du délire, et il est plus classique de se prendre pour Napoléon. Cependant, pourquoi blâmer cette malheureuse en quête, à chaque phase crépusculaire – un peu à la manière des loups-garous – d’une vie meilleure bien que totalement factice ? Le voyage à Babylone devient ainsi le moyen d’encaisser l’inacceptable, de s’accommoder d’une vie carcérale. Peut-être pour éviter de basculer dans une folie encore plus intense. La soupape de sécurité pour faire baisser la pression qui colonise le cerveau…

A propos de cerveau, souvenons-nous de Roger Waters et de ses encore copains de Pink Floyd, avec la chanson « Brain damage », extraite de l’album « The dark side of the moon ».

There’s someone in my head, but it’s not me… ».

Oui, il y a quelqu’un dans ma tête, mais ce n’est pas moi. Sacrément effrayant, pas vrai, cette affaire de passager clandestin au plus intime de soi ? Là, il n’était pas question de rallier Babylone à la force des neurones, mais de rejoindre la face cachée de la lune. Ce qui constitue une performance au moins aussi remarquable. Aparté : cette chanson de Waters avait été inspiré par l’état de délabrement mental de Syd Barrett, co-fondateur du groupe. Descente aux enfers occasionnée par sa forte consommation de LSD.

Mais revenons à La Réjane et aux expéditions à Babylone auxquelles elle nous invite, par l’intermédiaire de son héroïne. Non, Michel, ce n’est pas une transition opportuniste avec le LSD évoqué juste avant ! Comme si j’était du genre à verser dans ce genre de ficelles narratives !…

Avant d’écouter ce bien beau texte de La Réjane, disons quelques mots sur l’articulation de sa composition. Couplets et refrain sont en opposition, notamment par le biais du tempo. Le rythme est lent dans les couplets, afin de révéler la monotonie lancinante des jours qui se succèdent dans cette chambre d’hôpital. Au départ, seules des cordes habillent ce huis clos.

Puis, quand le refrain surgit, c’est un tourbillon qui nous entraîne jusqu’à Babylone, dans les phases d’exaltation qu’elles procurent à la protagoniste. Le piano, la batterie, les choeurs se déchaînent alors. On ne peut bien sûr que louer une si habile instrumentation

Il va sans dire que la folie créatrice présente bien plus d’intérêt que celle qui vise à tout détruire sur son passage. Manque de chance, on dirait que c’est plutôt la seconde qui fascine les fous furieux qui président aux destinées de notre pauvre monde.

Allez, écoutons maintenant, le quotidien de cette reine de Babylone en exil à l’HP du coin.

                                                                                    

Et pour cela, il vous faut vous promener sur le « pot de caste » de Radio G !. La chanson de La Réjane arrive à la suite de la version « pour les oreilles » de cette chronique. Il est bien sûr vivement conseillé d’écouter la totalité du programme musical concocté par l’ami Michel Boutet. Un spécial Québec en l’occurrence, ça ne se refuse pas !

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