A-coup fan n°6

La dernière fois que j’ai participé à ton émission, mon cher Michel, je t’ai menacé de rebondir sur les propos imprudents que tu étais susceptible d’exprimer, pour en faire la base d’un prochain « A-coup fan ». Force est de constater que la crainte s’est avérée payante, puisque pour cette fois, je n’ai rien eu à me mettre sous la dent. Et donc, le rebond tant espéré ne viendra pas de toi,… mais de ton modeste comparse, à savoir mézigue qui va apporter à cette émission, son lot de quiétude et de sérénité. Car c’est bien connu, le mézigue adoucit les mœurs.

Plus sérieusement, tu te souviens qu’il y a deux semaines, j’avais mis un coup de projecteur sur la magnifique chanson de Jacques Brel, Orly. Vous vous souvenez, non ? :

Mais nom de Dieu, c’est triste, Orly, le dimanche, avec ou sans Bécaud…

Et, assez logiquement, cette histoire de rupture non voulue se déroulant dans un aéroport m’en a rappelé une autre. On peut par conséquent considérer « l’à-coup fan » d’aujourd’hui comme étant le prolongement naturel de celui d’il y a 15 jours. Quand bien même la chanson choisie pour aujourd’hui s’avère bien antérieure au Orly de Monsieur Brel. Comme quoi l’on se fiche éperdument de toute notion de chronologie dans les émissions de Monsieur Boutet ! passons…

Mais ce que l’on ne peut pas retirer aux émissions de Michel Boutet, c’est leur éclectisme. Et tu as bien raison, Michel, l’énergie éclectique, c’est important…. C’est pourquoi j’ai apporté avec moi, pour orner musicalement cette chronique, un petit air de bossa. Une mélodie langoureuse à souhaits, emplie de sensualité, et simultanément imprégnée d’une tristesse absolue. Belle performance n’est-ce pas que de réunir en quelques couplets et sur un temps aussi court, des impressions pas vraiment conciliables ! Et ce bijou musical n’est autre que « La Rua Madureira » de ce grand monsieur que fut Nino Ferrer.

Réputé pour ses chansons plutôt rigolotes, mais souvent joliment travaillées, dont le simili gospel « Mirza » en incarne la parfaite illustration, Nino Ferrer, avec La Rua Madureira, verse dans la pure tragédie. Le drame s’annonce par petites touches, à la manière d’un peintre impressionniste :

Non je n’oublierai jamais la baie de Rio
La couleur du ciel le long du Corcovado
La Rua Madureira la rue que tu habitais
Je n’oublierai pas pourtant je n’y suis jamais allé

Pour le moins intrigante, n’est-ce pas, cette nostalgie éprouvée pour un lieu inconnu ? Et quel est-il ce lieu, d’ailleurs ?

Madureira est un quartier populaire très animé de Rio de Janeiro, sans lequel le Carnaval brésilien ne serait pas ce qu’il est. Durant le Carnaval le plus célèbre du monde, le centre de Madureira déborde alors de danses, de musiques, et de costumes plus démentiels les uns que les autres.

Mais je digresse, je digresse, reprenons le fil initial de mon propos :

Non je n’oublierai jamais ce jour de juillet
Où je t’ai connue où nous avons dû nous séparer

Aïe, là, ça évolue crescendo ! A peine rencontrés, et déjà séparés. La fulgurance de l’amour. Deux jours après la St Valentin, je vous gâte, pas vrai ?…

Bref, nous avons là de la très haute intensité qui s’en vient compenser la très faible durée de l’idylle. Tous les ingrédients de la saudade – cette version en langue portugaise du blues – sont ici rassemblés…

Jusqu’au couperet qui tombe, implacable :

Tu t’es retournée pour me sourire avant de monter
Dans une Caravelle qui n’est jamais arrivée

​Et là, petit(e)s futé(e)s que vous êtes, vous faites inévitablement le parallèle avec ce passage du Orly de Brel :

Et brusquement il fuit sans se retourner

Et puis, il disparaît bouffé par l’escalier.

On notera qu’aux XVème et XVIème siècles, les caravelles vous faisaient découvrir le nouveau monde, et dans la seconde moitié du XXème, elles vous expédient dans l’autre monde. Autres temps, autres voyages… La Caravelle, je le précise pour les plus jeunes oreilles qui nous écoutent, était considérée comme l’un des avions les plus sûrs des sixties, le fleuron de l’aéronautique tricolore de cette époque.

Ecrite en 1969, cette chanson de Nino Ferrer est possiblement inspirée du crash d’une autre Caravelle, abimée en Méditerranée, le 11 septembre 1968 – le vol AF 1611 Ajaccio-Nice. Un accident qui n’a fait aucun survivant parmi les 95 personnes montées à son bord, et dont l’origine n’a toujours pas été élucidée à ce jour ; certains des aspects du drame restant couverts par le sacro-saint secret défense.

Plusieurs interprètes se sont emparé de cette chanson dont Benjamin Biollay et Melvil Poupaud. Des gens qui viennent du cinéma ou qui y font des allers-retours (mais pas en Caravelle). Le signe sans doute de l’aspect très visuel du texte de Nino Ferrer.

Quoi qu’il en soit, plus de cinquante ans après sa création, cette bossa conserve des airs de jouvence. Comme si son charme nostalgique résistait à l’épreuve du temps.

Parmi toutes les versions disponibles de La Rua Madureira, j’ai volontairement délaissé l’interprétation originale – que j’aime beaucoup par ailleurs – au profit de celle de la chanteuse de jazz, Stacey Kent. Il est sûr que le jazz et la bossa connaissent des cousinages.

Allez, on écoute cette chère Stacey et ses talentueux complices pour la partie instrumentale de cette bien jolie version parue en 2017.

La version « pour les oreilles » est disponible en cliquant par ici. Cela démarre à 1’30 ». Evidemment, il est vivement conseillé d’écouter l’intégralité de l’émission du gars Michel Boutet, qui comme d’habitude, regorge de trouvailles.

                                                                                                   

                                                                                                   

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